11 nov. 2020

Lettre à Virginie Despentes, sur ce pays raciste qu’est la France, ses amnésies et ses silences assourdissants




Lettre à Virginie Despentes,


sur ce pays raciste qu’est la France,


ses amnésies et ses silences assourdissants




par


Alexandre Gerbi





Virginie Despentes aime à défrayer la chronique en ruant dans les brancards. Du moins le croit-elle. En réalité, ses sorties témoignent surtout, souvent, d'un affligeant conformisme. Ce qui lui vaut les honneurs de la grosse presse grassement subventionnée. De Libération au Figaro en passant par Le Monde, elle est relayée complaisamment. Dernier numéro en date, le 4 juin 2020 sur France Inter, temple par excellence de la Tartufferie d'Etat. Réponse à une tribune de trop de la part d'une servante empressée du Système, qui se prend pour l'héroïne insoumise de notre temps, alors qu'elle n'en est que la dupe hallucinée.



Lus par la voix super bobo d'Augustin Trapenard au micro de France Inter, ces mots de Virginie Despentes qui ouvrent sa tribune intitulée : "Lettre adressée à mes amis blancs qui ne voient pas où est le problème" :


"En France nous ne sommes pas racistes, mais je ne me souviens pas avoir jamais vu un homme noir ministre. Pourtant j’ai cinquante ans, j’en ai vu, des gouvernements."


Il faudrait apprendre à Virginie Despentes que dans ce pays raciste qu'est la France, sans remonter en deçà du XXe siècle ni dresser un inventaire exhaustif :


Un homme noir a été garde des Sceaux, en 1934 : Henry Lémery.


Un homme noir a été vice-président de la Chambre des députés, entre 1938 et 1940 : Gratien Candace.


Un homme noir a été ministre de la Santé publique et de la Population de la France, entre 1957 et 1958 : Félix Houphouët-Boigny.


Un homme arabe a été vice-président de l'Assemblée nationale, de 1958 à 1962 : le Bachagha Saïd Boualam.


Un homme noir a été président du Conseil de la République puis du Sénat pendant plus de vingt ans, de 1947 à 1968 : Gaston Monnerville.


Il faudrait également apprendre à Virginie Despentes que ce dernier, Gaston Monnerville, n'était pas un béni-oui-oui, puisqu'il s'opposa frontalement à De Gaulle, en 1962, en l'accusant publiquement de "bafouer" et de "violer" la Constitution. Dans ce pays raciste qu'est la France, le puissant Général-Président, qui le détestait, n'obtint pourtant pas sa tête.


Il faudrait demander à Virginie Despentes si tous ces noms lui disent quelque chose, et si elle se souvient de tous les autres, Blaise Diagne, Galandou Diouf, Hamani Diori, et tant d'autres qui occupèrent de très hautes fonctions dans ce pays raciste qu'est la France.


Que s'est-il donc passé entre-temps ? 


Il faudrait demander à Virginie Despentes pourquoi, à son avis, dans notre chère Ve République agonisante, les hommes noirs et arabo-berbères sont devenus si rares à ces mêmes fonctions. Que s'est-il donc passé entre-temps, Virginie Despentes ?


Au cas où elle l'aurait oublié, au cas où elle l'ignorerait, il faudrait rappeler à Virginie Despentes que les aïeux de la plus grande partie des Africains, subsahariens ou maghrébins, qui sont aujourd'hui des sans-papiers en France, avaient été déclarés citoyens français (1) par la Constitution de la IVe République, en 1946. Certes, cette citoyenneté, quoique affirmée dans le texte, était incomplète et faisait d'eux des Français de seconde zone (2). Mais il est également vrai que tout au long des douze années que dura la IVe République (1946-1958), l'inégalité politique ne cessa de reculer, en même temps que refluait inexorablement le colonialisme. Ainsi, le nombre de députés noirs africains à l'Assemblée nationale passa de 8 en 1945 à 21 en 1946, 28 en 1951, 30 en 1956. C'était encore très insuffisant, mais la marche vers l'égalité était effective et permanente.


Il faudrait rappeler à Virginie Despentes que de la sorte, en 1958, l'égalité politique complète était à portée de main.


Il faudrait rappeler à Virginie Despentes qu'à la faveur de la Révolution de Mai-Juin 1958, cette égalité politique fut d'ailleurs entièrement accomplie pour les Arabo-Berbères d'Algérie. Ceux-ci votèrent en effet pour la première fois à plein titre aux élections législatives de novembre 1958, envoyant 46 députés arabo-berbères sur les bancs de l'Assemblée nationale à Paris.


Il faudrait demander à Virginie Despentes pourquoi, selon elle, la Révolution égalitaire de Mai-Juin 1958 est aujourd'hui totalement effacée des mémoires et n'est jamais rappelée par personne.


Il faudrait encore demander à Virginie Despentes si elle sait que les Subsahariens, les "hommes noirs" comme elle dit, eux aussi participèrent à plein titre au référendum de 1958 sur la nouvelle Constitution, une voix africaine valant pour la première fois une voix métropolitaine. Là encore, tout le monde l'a oublié, mais Virginie Despentes saura sans doute nous dire comment s'explique cette amnésie.


Stratagèmes et subterfuges gaulliens pour déjouer l'égalité


En attendant, il faut le marteler, et pas seulement à destination de Virginie Despentes : en 1958, l'égalité politique entre citoyens africains et métropolitains était devenue complète, ou était à deux doigts de l'être. Et c'est précisément pour empêcher que ce processus égalitaire n'aille à son terme que De Gaulle mentit puis intrigua pour dynamiter la Communauté franco-africaine, jusqu'à finalement acculer à la sécession les Africains puis les Algériens entre 1958 et 1962. Au mépris et au rebours des engagements par lesquels il avait justifié son coup d'Etat et son retour au pouvoir en 1958. Au mépris, aussi, des devoirs de sa charge définis par la Constitution.


Ainsi, selon le voeu de Charles de Gaulle, les populations subsahariennes ne franchirent jamais l'ultime étape qui les séparaient de l'égalité politique totale. Et ainsi les populations algériennes furent dépossédées de la citoyenneté française, pleine et entière, acquise en 1958.


Il faudrait demander à Virginie Despentes pourquoi, elle qui tient le racisme pour une ignominie, elle n'est jamais, pas plus que ses amis soi-disant "antiracistes", montée au créneau pour dénoncer l'acte raciste majuscule et fondateur de la Ve République, à savoir la mise au ban des populations subsahariennes et algériennes de la France par Charles de Gaulle.


Il faudrait lui demander, à Virginie Despentes, si elle croit toujours au mensonge du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" qui permit de justifier la prétendue "décolonisation" (sic), alors que les citoyens africains furent dépossédés, de façon habile et rampante, du droit à l'autodétermination sur la question de l'indépendance par l'effarante Loi 60-525 (1960), au prix d'une quadruple violation de la Constitution, sous la férule du Premier ministre Michel Debré, à l'heure où l'Elysée avait décidé, unilatéralement, de se débarrasser d'eux comme d'un "boulet au cou d'un nageur", selon le mot fleuri de De Gaulle. 


Il faudrait demander à Virginie Despentes si elle a compris que ces pseudo "indépendances" furent en réalité le stratagème retenu par De Gaulle pour refuser l'égalité politique aux populations africaines de la France, et faire office, en même temps, de tremplin du néocolonialisme. Ce néocolonialisme qui plongea l'Afrique et l'Algérie dans la tyrannie, la misère et, souvent, le chaos politique et social. Ces pseudo "indépendances" qui entraînèrent, entre autres phénomènes, immédiatement et de façon croissante au fil des décennies, l'émigration de masse des Africains et autres Maghrébins vers cette Patrie qui leur avait été refusée et confisquée.


Dans cet ordre d'idée, il faudrait demander à Virginie Despentes ce qu'elle pense de l'Affaire gabonaise (1958), qui vit le pouvoir gaullien violer la Constitution (article 76) pour refuser la départementalisation que réclamait, selon les voies légales, le Conseil de gouvernement du Gabon présidé par Léon Mba.


Arabo-Berbères châtiés de s'être rêvés Français et "blanchiment" de l'Etat


Il faudrait demander à Virginie Despentes ce qu'elle pense du sort qui fut fait à l'Algérie et aux Algériens au mépris des serments égalitaires et fraternels prononcés par De Gaulle dans ses discours retors et mensongers d'Alger, de Constantine, de Bône, d'Oran et de Mostaganem en juin 1958.


Il faudrait aussi demander à Virginie Despentes comment elle interprète le sort qui fut finalement fait non seulement aux Harkis, mais plus largement aux Algériens francophiles, parfois petits conseillers municipaux, modestes gardes champêtres ou simples quidams, interdits de rapatriement sur ordre de l'Elysée et livrés par dizaines voire centaines de milliers au supplice et au massacre par De Gaulle dans une Algérie qu'il avait offerte au FLN, en dépit de la victoire de l'armée française sur le terrain. 


On n'ose croire que Virginie Despentes partage l'idée, toujours répandue à gauche, selon laquelle, pour un Arabe, pour un Berbère, s'être rêvés Français, avoir éperduement aimé la France, méritait la peine de mort dans des raffinements de cruauté, pour leur faire payer ce crime et servir d'exemples aux autres, dans le cadre d'un sanglant lavage de cerveau et d'un refaçonnement des mémoires, dont on mesure trop souvent aujourd'hui les effets délétères dans nos banlieues désintégrées.


De même, il faudrait demander à Virginie Despentes comment elle interprète le résultat de 99,72 % de OUI à l'indépendance lors du référendum de juillet 1962 dans cette même Algérie déjà livrée à la terreur du FLN par De Gaulle.


Enfin, il faudrait demander à Virginie Despentes s'il l'étonne, elle qui est si intelligente, qu'un régime, la Ve République (qu'on devrait plutôt appeler la VIe), qui a largué 95% du territoire et la moitié de la population dont il avait la charge, pour se débarrasser des "Nègres" et des "Bougnoules" (selon les mots de De Gaulle), se retrouve soixante ans plus tard avec une Assemblée nationale essentiellement blanche et des gouvernements essentiellement blancs.


Au-delà du champ strictement politique


Pour sortir du seul champ politique et se situer à hauteur d'homme (et de femme...), il faudrait aussi demander à Virginie Despentes pourquoi une de mes plus proches amies, métisse franco-marocaine physiquement très typée, Française de la classe moyenne, née et ayant toujours vécu dans l'Hexagone, en province puis à Paris pour ses études supérieures, m'a affirmé n'avoir jamais éprouvé de sa vie le moindre racisme en France, sauf une fois, dans la rue, lorsque de jeunes hommes eux aussi de type maghrébin qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam, se sont permis de l'interpeller et de la renvoyer à sa race, en lui reprochant d'être trop court vêtue.


Il faudrait demander à Virginie Despentes ce qu'elle pense des déclarations de la mère de Joséphine Baker, qui débarquant des Etats-Unis, déclarait, au rebours des mises en garde de ses amies noires américaines qui s'inquiétaient de la voir partir pour un pays peuplé de Blancs, avoir "constaté" que "les Français aiment beaucoup les gens de couleur".


Il faudrait demander à Virginie Despentes ce qu'elle pense des déserteurs noirs de l'armée américaine en 1945, qui refusaient de rentrer au pays, préférant rester en France qu'il tenaient pour un havre où le racisme était quasiment absent.


Il faudrait demander à Virginie Despentes ce qu'elle pense du Paris des années 1950, terre d'élection des jazzmen noirs y respirant un air de liberté chez eux inconnu.


Il faudrait demander à Virginie Despentes ce qu'elle pense de ces mots de Léopold Sédar Senghor, se rappelant la capitale française durant l’entre-deux-guerres : « Les nègres de tous les pays du monde, dont Paris est la capitale par excellence, parce que la ville blanche la plus fraternelle. » (3)


Du "bon côté" du manche


Il faudrait demander à Virginie Despentes si elle n'est pas un peu gênée que sa lettre sur le racisme français soit lue sur France Inter, qui se fait le complice silencieux du largage de l'Afrique et des Africains par De Gaulle entre 1958 et 1962, largage dont la réalité n'a jamais été dénoncée sur les ondes de cette radio d'Etat, dans aucun journal d'information ni aucune de ses émissions, 2000 ans d'histoire ou naguère les fameux Dossiers de Monsieur X pourtant théoriquement friands d'histoires secrètes et croustillantes.


Il faudrait demander à Virginie Despentes ce qui lui permet, à partir d'une arrestation ayant fini en tragédie, celle d'Adama Traoré, d'affirmer que le racisme en serait l'explication, et de mettre à partir de là en accusation, sans craindre l'amalgame, tous les Blancs, d'autant que si l'on en croit une information de Pascal Praud non démentie à cette heure, la mort de cet homme est survenue lors d'une opération effectuée par des gendarmes "issus de la diversité", comme on dit.


Il faudrait demander à Virginie Despentes si elle n'a pas honte de jouer les rebelles alors qu'elle se situe du bon côté du manche, comme France Inter qui diffuse ses tartufferies, Libé ou tant de journaux qui croulent sous les subventions de l'Etat.


Cet Etat qui, par la bouche de Macron à l'instar de tous ses prédécesseurs, tresse en toute occasion des couronnes de lauriers à De Gaulle qui pourtant largua l'Afrique, l'Algérie et surtout leurs populations, au nom, fondamentalement, de critères raciaux.


Il faudrait demander à Virginie Despentes quand elle se décidera à s'assumer comme une bobo nantie du Système aux indignations sélectives, qui ne rend service ni aux Noirs, ni aux Arabo-Berbères, ni aux Blancs, ni à l'Afrique, ni à la France, ni à l'humanité, mais qui jette de l'huile sur le feu de la façon la plus irresponsable et la plus nauséabonde.


Il faudrait demander à Virginie Despentes à quoi elle joue.


Alexandre Gerbi




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Notes :


(1) Extrait de la Constitution de 1946 : "Article 80. - Tous les ressortissants des territoires d'outre-mer ont la qualité de citoyen, au même titre que les nationaux français de la métropole ou des territoires d'outre-mer. Des lois particulières établiront les conditions dans lesquelles ils exercent leurs droits de citoyens. Article 81. - Tous les nationaux français et les ressortissants de l'Union française ont la qualité de citoyen de l'Union française qui leur assure la jouissance des droits et libertés garantis par le préambule de la présente Constitution. Article 82. - Les citoyens qui n'ont pas le statut civil français conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé. Ce statut ne peut en aucun cas constituer un motif pour refuser ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français.

Source : https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1946-ive-republique


(2) Nous soulignons (cf. note précédente) : "Des lois particulières établiront les conditions dans lesquelles ils exercent leurs droits de citoyens."


(3) Léopold Sédar Senghor, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, p. 5, Puf, 1948.



Cette Lettre à Virginie Despentes, sur ce pays raciste qu’est la France, ses amnésies et ses silences assourdissants a été publiée pour la première fois le 9 juin 2020 sur le site AgoraVox.