30 oct. 2019

Mayotte et les Comores : Quand CNews, sous la houlette de Marc Menant et d’Eric Zemmour, occulte l’Histoire





Mayotte et les Comores : 

Quand CNews, sous la houlette 

 de Marc Menant et d’Eric Zemmour,

occulte l’Histoire


par 

Alexandre Gerbi




Fait probablement unique dans le monde, le peuple français est tenu dans l'ignorance de la dernière révolution de son histoire, qui fut assassinée par celui qui prétendit la conduire : la Révolution de 1958. Mais la Ve République occulte aussi une autre révolution, certes plus modeste, mais qui a pourtant son importance : la Révolution anjouanaise de 1997, elle aussi assassinée. Ces deux assassinats sont évidemment liés l'un à l'autre. Ces occultations aussi. La chaîne d'information CNews y a récemment pris sa part. Retour sur une manipulation majeure dont les auteurs du jour, Marc Menant et Eric Zemmour, sont responsables mais, selon toute vraisemblance, pas coupables. 



"Un homme d'Etat ne devrait jamais mentir au peuple". Cette formule admirable, tirée de son ouvrage Le Fil de l'épée (1932), Charles de Gaulle l'a copieusement foulée aux pieds tout au long de sa carrière politique. Le sommet de l'art gaullien du mensonge fut sans doute atteint entre 1958 et 1962, lorsqu'il accomplit la volte-face qui le conduisit à faire l'exact contraire de ce par quoi il avait justifié son coup d'Etat militaire, de ce pour quoi il avait renversé la IVe République, créé la Ve et finalement pris le pouvoir avec l'approbation massive du peuple, au nord comme au sud de la Méditerranée (référendum du 28 septembre 1958). Dans ses serments solennels prononcés en terre algérienne (juin 1958), De Gaulle avait posé l'unité franco-africaine comme l'indispensable condition du maintien de la puissance et de la grandeur françaises. Faisant fi de ce programme à la fois extraordinaire et visionnaire, une fois élu, l'ermite de Colombey accomplit un retournement à 180 degrés et largua, en à peine quatre ans, la quasi-totalité des territoires d'Afrique subsaharienne et les départements d'Algérie, et surtout leurs populations. Pour le plus grand malheur des Subsahariens et des Algériens, et, à plus long terme, des Français en général. Et pour le plus grand plaisir de ses soutiens de Washington, en particulier Allen Dulles, chef de la CIA, et son frère John Foster Dulles, secrétaire d'Etat - ce qui permettrait d'envisager de classer les menées gaulliennes entre 1958 et 1962 dans les catégories "haute trahison" et "intelligence avec l'ennemi", si la France redevenait un jour maîtresse de son destin et qu'un procès historique et posthume s'ouvrait enfin. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres...

En attendant, le mensonge est devenu, suivant l'exemple du Général, la marque de fabrique du régime...


Le mensonge, spécialité des médias de la Ve République

La superstructure médiatique de la Ve République, presse écrite et médias audiovisuels, se conforme docilement, et de longue date, à cette conception très particulière de la vérité, qui consiste à travestir la réalité et à mentir en permanence au peuple.

Dernier avatar de cette pratique invétérée du mensonge, le 22 octobre 2019, dans l'émission Face à l'info sur CNews, chaîne d'information qui défraie la chronique depuis le retour en grâce d'Eric Zemmour, évincé en 2014 de cette même chaîne qui se nommait à l'époque Itélé.

A la faveur d'une visite d'Emmanuel Macron, président de la République, à Mayotte, le journaliste Marc Menant a livré un petit panorama très incomplet, et de ce fait mensonger par omission, de l'histoire mahoraise. Ce petit panorama défaillant fut assorti des réflexions d'Eric Zemmour, elles aussi frappées au coin de la contrevérité, ou du contresens, historique.

Précisons d'emblée que rien ne permet d'affirmer que Marc Menant a menti volontairement. Au contraire, tout semble indiquer que ce sympathique journaliste et écrivain n'a de Mayotte et des Comores qu'une connaissance superficielle, ce qui rendait particulièrement casse-gueule l'exercice de "recul historique" (selon l'expression de la journaliste animatrice Christine Kelly) dont CNews l'avait chargé. Et, toujours à la décharge de Marc Menant, les sources les plus facilement disponibles sur la question étant biaisées voire mensongères, il ne lui était pas facile d'éviter de tomber dans le panneau. De la même manière, Eric Zemmour, en dépit de ses qualités de bretteur et de sa solide culture historique, n'est pas un être omniscient. Lui aussi a ses lacunes qui le conduisent, malgré lui, à participer à la falsification générale. L'auteur de Destin français, que nous avons contacté, nous a confirmé qu'il ignorait jusque-là l'existence de la Révolution anjouanaise dont on va parler ici...

Lorsqu'il est question de Mayotte, seule île encore française de l'archipel des Comores (Océan Indien), départementalisée par Nicolas Sarkozy en 2011, la presse française possède une mémoire criblée de trous. Une amnésie bien pratique qui permet de procéder à une présentation conforme au bréviaire idéologique de la Ve République, mais empêche de comprendre une situation devenue, depuis bien des années, éminemment problématique. Cette lecture bidonnée, dans ce domaine comme dans tellement d'autres, compromet toute chance d'apporter des solutions efficaces et de sortir du guêpier dans lequel, ici comme ailleurs, la Ve République a fourré la France.


De l'indépendance regrettée (1981) à la Révolution anjouanaise (1997) 

Voilà ce qu'il convient, en bref, de savoir sur Mayotte et les Comores, et que la presse française occulte systématiquement. Pour plus de détails, le lecteur curieux trouvera, sur le blog Fusionnisme, le chapitre consacré à La Révolution anjouanaise dans mon ouvrage Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, Imposture, refoulements et névroses (L'Harmattan, 2006).

Trois des quatre îles qui composent les Comores obtinrent leur indépendance de la France en 1975 : Grande Comore, l'île principale, ainsi qu'Anjouan et Mohéli. Seule Mayotte, où le NON à l'indépendance l'emporta avec 63% des voix, resta française.

L'indépendance aux Comores, comme en Afrique subsaharienne et en Algérie une quinzaine d'années plus tôt, avait été présentée aux habitants comme la promesse de lendemains qui chantent. Un attrape-nigaud qui permit de convaincre une grande partie du peuple naïf de voter pour l'indépendance (une autodétermination dont les autres Subsahariens avaient été dépossédés en 1960, selon la volonté de Charles de Gaulle et de Michel Debré, par le truchement de l'effarante loi 60-525).

La réalité étant bien différente des contes de fées, l'indépendance tourna rapidement au fiasco aux Comores comme ailleurs, et fit rapidement de nombreux déçus. Or si en vertu d'une conception étrangement à sens unique de l'histoire, un nouveau référendum sur l'indépendance avait été prévu à Mayotte pour 1976, rien de tel n'avait été envisagé pour les autres îles des Comores. Notons au passage que ce même principe s'applique actuellement en Nouvelle-Calédonie, puisque le OUI à l'indépendance mettrait un terme aux consultations, alors qu'un NON ouvre la porte à d'autres référendums. Bizarre conception asymétrique de la démocratie, qui ne choque ni ne dérange manifestement grand monde dans la presse de la patrie des Droits de l'homme. Fin de parenthèse.

Au nouveau référendum organisé à Mayotte en 1976, le NON à l'indépendance l'emporta cette fois de manière écrasante, avec 99% des voix.

En revanche, aux Comores, aucune consultation n'étant prévue, le mécontentement ne trouva aucune voie d'expression référendaire et enfla donc jusqu'à tourner à l'exaspération. Pour aussi étonnant que cela puisse paraître, dans deux des trois îles, à Anjouan et Mohéli, ce mécontentement prit la forme d'une revendication de retour dans la France. Mais l'Etat français giscardien jugea préférable de faire la sourde oreille...

L'élection de François Mitterrand en 1981 parut changer la donne. Celui-ci avait en effet promis le "changement", et son passé de grand connaisseur et de grand défenseur de l'outre-mer franco-africain dans les années 1950, et de grand opposant à De Gaulle, permettait d'espérer un "changement" radical dans le rapport que la France entretenait avec son ancien empire. Aussi 380 notables anjouanais s'empressèrent d'écrire au président nouvellement élu pour lui demander le rattachement de leur île, Anjouan, à la France. Mais Mitterrand, finalement plus gaullien que prévu, fit lui aussi la sourde oreille...

Les années passèrent. La situation d'Anjouan, toujours délaissée par Grande Comore, ne s'améliora pas. La petite île continua de regarder, en vain, la France avec les yeux de Chimène. En 1987, des étudiants anjouanais révoltés se soulevèrent et, au terme d'une manifestation, hissèrent le drapeau français à la place du drapeau comorien devant la préfecture de Moutsamoudou. L'Elysée, Matignon et le Quai d'Orsay adoptèrent l'attitude des trois petits singes : pas vu, pas entendu, pas parler. La situation continua donc de dégénérer...

Dix ans plus tard, en 1997, lassés par l'autisme de l'ancienne métropole, les Anjouanais, bientôt suivis par les Mohéliens, décidèrent de prendre le taureau par les cornes : ils entrèrent en révolution, hissèrent partout le drapeau tricolore, brandirent des portraits du président Chirac, entonnèrent la Marseillaise et proclamèrent le rattachement de leur île à la France.

La réponse, fomentée par l'Etat comorien en accord avec Paris, fut de leur envoyer des soldats pour écraser la sécession. Mais rapidement défaites, les forces comoriennes ne purent ramener les révolutionnaires dans le rang. Au demeurant, sans surprise, l'Etat français se garda bien, quant à lui, d'accéder à la demande de rattachement à la France d'Anjouan et de Mohéli, les médias hexagonaux expliquant doctement que les Anjouanais et les Mohéliens n'aspiraient qu'à toucher des aides sociales. Autrement dit, les lendemains qui chantent étaient légitimes et glorieux lorsqu'ils s'agissait de faire sécession de la France, mais devenaient soudain vils et méprisables lorsqu'il s'agissait de vouloir retrouver cette même France... En guise d'épilogue et de solution, avec la bénédiction du gouvernement français, la République des Comores, quoique minuscule, devint finalement fédérale, et ses trois îles autonomes.

Notons que tout au long de cette période, de 1975 à nos jours, ces événements pourtant édifiants n'ont nullement empêché l'Etat comorien de revendiquer constamment l'annexion de Mayotte, quoique celle-ci y soit totalement opposée...

Résumons-nous. Depuis près de 40 ans, Anjouan et Mohéli demandent leur retour dans la France, et sous prétexte du référendum de 1974 pourtant rapidement désavoué par les principaux intéressés, ce retour leur est refusé. Alors les Anjouanais et les Mohéliens votent, comme on dit, avec les pieds, ou plutôt avec les kouassa-kouassa, frêles esquifs leur permettant de quitter leur île, qu'on leur refuse de redevenir française, pour aller rejoindre Mayotte, qui elle l'est restée. Entre immigration massive et naissances anjouanaises innombrables à la maternité de Mamoudzou (la première de France...), Mayotte explose, puisque sa population a quintuplé en quarante ans (passant de 45 000 en 1975 à plus de 250 000 en 2019, selon les chiffres officiels). Et le problème ne cesse de s'amplifier...


 De la "folie giscardienne" à la "folie mitterrandienne

Sur CNews, la revendication anjouanaise de retour dans la France, maintes fois répétée depuis 1981, bien qu'essentielle pour comprendre la crise mahoraise, Marc Menant l'a passée sous silence. Probablement plus par ignorance que par malice, si l'on en juge par la passion républicaine dont il a par ailleurs fait preuve dans son exposé, en exaltant à juste titre l'attachement et même l'amour des habitants de Mayotte, les Mahorais, pour la France.

Quant à Eric Zemmour, après une présentation aussi partielle et finalement faussée des "événements", il a pu en conclure que Mayotte faisant partie de l'archipel des Comores, elle aurait dû accéder à l'indépendance en même temps que les trois autres îles, en 1975... ce qui aurait tout résolu ! Et d'ajouter : "Un habitant de Mayotte sur deux est comorien. Les Comores sont en train de récupérer l'île par la bataille démographique". Fulgurante vision... A condition, bien sûr, de faire abstraction de l'histoire telle qu'elle s'est déroulée depuis 1975...

Reprochant à ses détracteurs, d'ailleurs souvent à raison, leur déni de réalité, Eric Zemmour aime à citer Balzac : "Les événements sont de l'ironie en action."

En l'occurrence, l'ironie des événements est particulièrement mordante, puisqu'elle dynamite en profondeur le récit officiel de l'histoire de la décolonisation franco-africaine. Les événements démontrent en effet que l'histoire n'est pas nécessairement à sens unique, et que certaines populations ou certains pays devenus indépendants peuvent aspirer collectivement à redevenir français. Comme on l'a dit plus haut, Eric Zemmour nous a confirmé qu'il ignorait tout de ces événements. La chose pourra étonner, venant d'un grand journaliste habituellement très bien renseigné, et qui n'était pas un perdreau de l'année lorsque les événements anjouanais défrayèrent la chronique en juillet 1997. Si nous étions taquin, nous en conclurions que la mémoire d'Éric Zemmour pèche par bienveillance, puisque à l'insu de son possesseur, elle efface automatiquement les éléments qui seraient susceptibles de bousculer le bel ordonnancement de sa pensée. Mais comme il faut rester sérieux, cette étonnante lacune du célèbre éditorialiste du Figaro en dit long sur l'efficacité de l'omerta qui règne en France, puisque tout bien renseigné qu'il soit, Eric Zemmour est lui-même passé à côté d'un événement qui, à l'époque, avait pourtant été mentionné au JT de TF1. Avant, il est vrai, de cesser subitement d'être couvert par la chaîne les jours suivants...

Autre curiosité, alors qu'Eric Zemmour aime habituellement à se réclamer de la voix du peuple, le voilà soudain qui semble trouver à la démocratie de singulières limites : "Mayotte appartient aux Comores, et c'est une folie de Giscard d'Estaing d'avoir voulu écouter la population et d'avoir séparé les îles. (...) C'est une folie giscardienne !"

Or en l'espèce, comme on l'a vu, si les populations avaient été écoutées, Anjouan et Mohéli seraient probablement redevenues françaises dès 1981. Et par conséquent, Mayotte ne serait pas devenue la destination de l'exode massif des Anjouanais et autres Mohéliens en manque de France. Aujourd'hui, sans doute ces deux îles jouiraient d'un niveau de vie bien supérieur à celui dont elles pâtissent et qui pousse tant de leurs habitants à les fuir au péril de leur vie...

En définitive, plus que d'une "folie giscardienne", la situation de Mayotte est plutôt le fruit d'une "folie mitterrandienne", sans rien dire de ses successeurs, notamment le gaulliste Chirac et le socialiste Jospin, qui cohabitaient au pouvoir au moment de la Révolution anjouanaise de 1997... 

Mais il est vrai que les Anjouanais et les Mohéliens sont des musulmans et des Africains. C'est-à-dire, selon les critères fondateurs de la Ve République gaullienne qu'approuve sans réserve Eric Zemmour, des gens qui n'ont pas vocation à devenir, voire à être, autrement qu'en très petit nombre, des Français. La "petite minorité" acceptable dont parlait, en coulisse, Charles de Gaulle pour justifier son largage des territoires d'Afrique et des départements d'Algérie...


Conclusion à l'adresse des aveugles, des sourds et des muets

En guise de conclusion, plusieurs observations s'imposent.

D'abord sur Eric Zemmour. Bien que se réclamant d'un patriotisme absolu et d'une passion ardente pour la France, l'auteur du Suicide français en arrive à défendre des positions qui sont celles des pires ennemis de la France. De ces ennemis (ou de ces faux amis...) qui souhaitent que la France achève de rétrécir le plus possible, en abandonnant ses derniers territoires d'outre-mer. De la sorte, cessant définitivement d'être une puissance qui compte (rappelons que l'outre-mer permet à notre pays de disposer du domaine maritime le plus vaste du monde, devant les Etats-Unis...) après avoir renoncé entre 1960 et 1962 à être une superpuissance, la France et son peuple cesseront d'être un phare social pour le monde et un rempart dressé devant tous les prédateurs affamés.

Ensuite sur Marc Menant. Ce journaliste et écrivain est manifestement l'archétype de ces Français encore largement majoritaires dans le Pays, citoyens profondément républicains et démocrates, humanistes sincères, pétris d'une grande idée de la France, sublime notamment parce qu'elle rayonne par delà les races et les religions, mais qui, dupes des mensonges de la Ve République, se font, à leur insu, les chantres involontaires de balivernes délétères élaborées par les ennemis de cette même France.

Puis sur les Français d'origine comorienne. Tout comme les Français d'origine algérienne sont, hormis les fils et filles de Harkis, le plus souvent de vibrants défenseurs de l'indépendance de l'Algérie en 1962 (résultat d'un remarquable lavage de cerveau doublé d'une mémoire refabriquée par la terreur que le FLN orchestra, avec la complicité et sous l'oeil cynique de De Gaulle, comme je l'ai expliqué ailleurs), les Comoriens de France militent, pour beaucoup d'entre eux, pour le retour de Mayotte dans les Comores. Alors même que les Mahorais ne veulent pas en entendre parler, et que les Anjouanais et les Mohéliens prouvent chaque jour qu'ils rêvent de France et sont prêts à risquer leur vie pour la rejoindre. A chacun de méditer sur l'ironie et surtout sur la cause de ces étranges états de fait. En particulier sur le phénomène qui veut que des gens qui ont choisi de quitter leur pays pour venir s'établir en France et jouir de sa citoyenneté, plaident sans cesse pour que leurs anciens compatriotes ne bénéficient pas, chez eux, du même avantage...

Enfin, sur le déni de démocratie et son pendant propagandiste. Un déni et une propagande qui cachent qu'Anjouan et Mohéli, îles qui furent liées à la France pendant près d'un siècle, regrettèrent presque immédiatement l'indépendance. S'apercevant de leur erreur, ces îles revendiquèrent à cor et à cris leur retour dans la République. Mais elles se virent et se voient toujours refuser le droit de disposer d'elles-mêmes et, le cas échéant, de retrouver la France. Quitte à ce que ce refus induise des situations intenables et même explosives pour une île restée française, Mayotte, et entraîne une situation économique et sociale désastreuse pour Anjouan et Mohéli, maintenues au ban de la France.

Mais ne soyons pas dupes à notre tour : il est vrai qu'accéder à la demande des Anjouanais et des Mohéliens de revenir dans la République française, aurait créé un fâcheux précédent. Un tel retour aurait risqué de donner des idées aux Africains du continent, aux Africains de l'ancienne Communauté Franco-Africaine, à tous ces Africains éperdument amoureux de la France, dont de Gaulle avait eu tant de mal, de son aveu même, à se débarrasser. Cela, nos funestes dirigeants, gaullistes comme socialistes, l'avaient parfaitement et sinistrement compris...


Conclusion de la conclusion, à l'adresse des mêmes, ou la contre-révolution cachée 

Il serait bon de réfléchir sur ces gigantesques mensonges aux effets pervers en cascade. L'ignorance des événements dans laquelle le peuple français est tenu par la classe politique et ses serviteurs médiatiques (dont certains sont, répétons-le, des dupes, à droite comme à gauche), renvoie à un autre mensonge, plus gigantesque encore.

Fait probablement unique dans le monde, les Français sont tenus dans l'ignorance de la dernière grande révolution de leur histoire, la révolution de 1958. Une révolution assassinée par celui qui avait prétendu la conduire, Charles de Gaulle. La contre-révolution qui fut bâtie sur cette révolution assassinée, la contre-révolution antidémocratique et antisociale en quoi consista la pseudo-décolonisation, fut particulièrement dramatique pour les anciens territoires d'Afrique. La propagande qui l'accompagna, foncièrement antirépublicaine et antifrançaise, fut grande génératrice de malheur, d'idées fausses, de rancoeurs et de haines, mais aussi de profond affaiblissement idéologique laissant le champ libre à tous les obscurantismes. Cette contre-révolution cachée aux yeux du peuple, mais qui est le fondement organique de la Ve République, est à l'origine de la catastrophe actuelle qui menace d'emporter le Pays tout entier.

Sous cet angle, Mayotte n'est qu'un minuscule aspect de la tragédie franco-africaine : Eric Zemmour a raison sur ce point, mais pas pour les bonnes raisons, puisqu'il réduit Mayotte à un laboratoire de l'immigration de masse, alors que cet aspect est au fond un épiphénomène d'un drame beaucoup plus grand et plus ancien. A savoir le démantèlement de la France comme superpuissance, le reniement idéologique de ses plus hautes traditions universalistes et humanistes, et finalement le retournement contre elle de ses enfants d'Afrique qui, jadis éperdument amoureux d'elle, étaient les meilleurs garants de son avenir triomphant et de son rayonnement planétaire.

Or nombre de ces enfants sont aujourd'hui devenus, à force de manipulations et de mensonges, ses pires ennemis et ses fossoyeurs rêvant pour certains de sa mort. La haine antifrançaise et sécessionniste qui prolifère dans les banlieues, dont les populations sont issues en grande partie de l'ancien empire colonial, est un autre aspect encore de la tragédie et de la trahison dont est coupable la Ve République gaullienne, aspect majeur s'il en est.

Tout ce que ne voit pas Eric Zemmour, pas plus que le reste du Système.


Epilogue 

De toute évidence, c'est à l'insu de leur plein gré que CNews, Marc Menant et Eric Zemmour, le 22 octobre 2019, ont menti par omission. Par conséquent, il ne fait aucun doute qu'ils auront à coeur, dès que possible, de corriger leur erreur en direct sur le plateau de Face à l'Info, afin que la Révolution anjouanaise et ses velléités rattachistes soient portée à la connaissance de leurs téléspectateurs. Afin de doter le public, pour reprendre la belle expression de Christine Kelly, du "recul historique" indispensable pour comprendre la crise de Mayotte et en débattre sereinement. Avec toutes les cartes en main.

Alexandre Gerbi



26 oct. 2019

La Révolution anjouanaise de 1997

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Emmanuel Macron, président de la République française, était à Mayotte ce 22 octobre. 

L'occasion de republier La Révolution anjouanaise de 1997, chapitre tiré de mon ouvrage Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, Imposture, refoulements et névroses (L'Harmattan, 2006). 

Bien qu'indispensable pour comprendre la crise mahoraise, cet épisode est systématiquement passé sous silence par les médias français. Allez savoir pourquoi...

Bonne (re)lecture !
Alexandre Gerbi





La Révolution anjouanaise de 1997
Extrait de Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine
(Ed. L’Harmattan, 2006)


L’Afrique apporte toujours
quelque chose de nouveau.

Rabelais[1]



Le destin de la « Révolution » anjouanaise reflète les positions encore actuelles des autorités françaises – qu’elles soient de droite ou qu’elles soient de gauche – unanimement acquises au catéchisme de la Vème République gaullienne[2].


* * *

Anjouan est l’une des quatre îles qui composent le petit archipel des Comores, non loin de Madagascar, tout près du canal du Mozambique. Outre Anjouan, les Comores comprennent trois autres îles : Grande Comore, Mayotte et Mohéli.

En 1974, répondant à diverses revendications indépendantistes, la France de Valéry Giscard d’Estaing décida d’interroger l’ensemble comorien. Un problème se posa : les résultats du référendum d’autodétermination devraient-ils être considérés en bloc, ou bien île par île ? La question était cruciale, car si le « Oui » à l’indépendance l’emporta finalement très largement avec 96 % des voix à Grande Comore, Anjouan et Mohéli, en revanche le « Non » l’emporta à Mayotte, avec 64 % des suffrages exprimés.

On le voit, procéder à un décompte « en bloc » conduisait à accorder l’indépendance aux quatre îles. En revanche, procéder à un décompte « île par île » conduisait à n’accorder l’indépendance qu’à trois des quatre îles, et par conséquent à maintenir Mayotte dans la République française. Un vrai casse-tête démocratique…

Dans l’affaire, les tenants de l’indépendantisme, comoriens ou français, réclamaient bien sûr que les résultats soient pris « en bloc », et contestaient le décompte « île par île », arguant qu'un tel décompte était contraire aux principes les plus élémentaires du droit international, qui affirme l’intangibilité des frontières et l’indivisibilité des entités territoriales. En face, les partisans du maintien dans la République, comoriens ou français, exigeaient bien entendu que le référendum soit considéré « île par île », dénonçant qu'on puisse imposer l'indépendance à une île (et une population) l'ayant refusée par référendum.

Après moult débats au Parlement français et dans la presse, après moult pressions de toutes sortes et en tous sens dans les coulisses du pouvoir, il fut finalement décidé que les résultats du référendum seraient considérés « île par île ». Ce choix provoqua l’ire des indépendantistes, et la joie de leurs adversaires…

Suite au référendum de décembre 1974, en janvier 1975, Grande Comore, Anjouan et Mohéli proclamèrent leur indépendance (unilatéralement, précipitant « légèrement » le calendrier prévu, la France ne s’en offusqua pas) et formèrent la République islamique des Comores, tandis que Mayotte resta française.


Immédiatement, la République islamique des Comores exigea la rétrocession de Mayotte, au nom du résultat « en bloc » du référendum. Les autorités françaises promirent que d’autres référendums d’autodétermination sur l’indépendance seraient à nouveau organisés à Mayotte.

C’est une des caractéristiques intéressantes (et assez mystérieuse d’un point de vue démocratique) du processus de décolonisation : lorsqu’un territoire accède à l’indépendance par voie de référendum, il ne lui est ensuite jamais proposé de revenir en arrière. En revanche, la volonté inverse, le maintien dans la République (ou dans la France), fait toujours l’objet de nouvelles consultations, et donc de nouvelles remises en cause. Etrange sens unique de l’Histoire, bien difficile à justifier. D’autant que, comme on va le voir, il arrive que la question se pose aussi en ces termes, justement…


* * *

L’indépendance se révéla rapidement décevante pour les Comoriens. Cédant aux tentations dictatoriales, le pouvoir du président Abdallah[3] s’enfonça jour après jour dans le clientélisme et la corruption, avec la complicité armée de Bob Denard, mercenaire français considéré comme le vrai maître du pays, et dont les réseaux couraient de Paris à Johannesburg.

Au spectacle de l’instabilité croissante qui, sur fond de paupérisation accélérée, gagnait ses voisines, Mayotte n’eut plus qu’une réponse à la question de l’indépendance : « Non ». Lors des référendums ultérieurs, Mayotte vota à une écrasante majorité pour son maintien dans la République française.

Devant l’ONU, les autorités comoriennes multiplièrent les démarches et les dénonciations, souvent avec une extrême virulence à l’endroit de la France, pour exiger que Mayotte rejoigne la République islamique des Comores. Dans leurs démarches, les autorités comoriennes bénéficiaient – qui s’en étonnera ? – de nombreux soutiens internationaux. Mais la France et Mayotte tinrent bon, quitte à essuyer mille condamnations solennelles.

Dans ce contexte, les habitants d’Anjouan, la deuxième île de l’archipel par sa population, qui avaient plébiscité en décembre 1974 l’indépendance dans l’espoir de lendemains qui chantent, constatant que ceux qui les avaient poussés dans cette voie, les indépendantistes, en multipliant les promesses mirifiques, les avaient en fait abusés, se prirent à regretter sérieusement la France.


* * *

Pensant que l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand marquait un tournant historique, un collectif réunissant près de 380 notables anjouanais adressa au Président français fraîchement élu une lettre où ils dénonçaient l'incurie et les abus du pouvoir comorien, et réclamaient le rattachement d'Anjouan à la France. Revenu de ses convictions des années 1950[4], Mitterrand ne jugea bon ni de satisfaire cette étrange demande, ni d'en informer le peuple français.

Les années suivantes, les bouillants étudiants comoriens, catalysant comme souvent la jeunesse le mécontentement populaire, se révoltèrent, en particulier à Anjouan. Au cours des manifestations qui se multiplièrent dans le courant des années 1980, il devint même de tradition de s’en prendre aux drapeaux de la République islamique des Comores, et de hisser à leur place des drapeaux tricolores.


* * *

Peu à peu, à Anjouan et Mohéli, îles de plus en plus délaissées par le régime, une rumeur étrange et tenace enfla, qui prétendait que le référendum de 1975 avait été truqué : Giscard d’Estaing, de mèche avec les indépendantistes, s’était débrouillé pour se débarrasser d’eux ! La propagande indépendantiste leur avait fait miroiter monts et merveilles, ils s’étaient laissé séduire par les sirènes d’un nationalisme des lendemains radieux, l'opulence pour la multitude… et ils s’apercevaient que tout cela n’était qu’un sombre attrape-nigaud !

Dans ces circonstances, les vieux Comoriens, anciens combattants de l’Armée française ou petits fonctionnaires, qui se souvenaient des discours de la France coloniale universaliste et généreuse, la République et l’Intégration, osèrent à nouveau laisser libre cours à leurs opinions de « Français de cœur ». Ainsi ressurgit à Anjouan et Mohéli le patriotisme français comorien[5]

Tout au long de la décennie 1980, la France mitterrando-gaullienne (PS-RPR) ignora bien entendu ces revendications incongrues. Les médias n’informèrent pas les Français de ces poussées de fièvre francophile, qui du reste – qui pourrait en douter ? – étaient le fruit d’une âme comorienne versatile et fantasque, et feraient long feu.

Mais ces diables d’Anjouanais s’entêtèrent...

Il faut dire qu’avec le temps, la situation politique et économique n’en finissait pas de se dégrader dans la République des Comores, au rythme d’une démographie galopante[6] et de coups d’Etat en série (vingt-cinq tentatives en vingt-cinq ans d’indépendance).

Pour asseoir leur pouvoir fragilisé chaque jour davantage par les événements, les autorités comoriennes accentuèrent le favoritisme financier dont bénéficiait Grande Comore, siège du gouvernement et du parlement, au détriment d’Anjouan et Mohéli, jugées évidemment moins stratégiques. Ce raisonnement permit en effet de prévenir les mécontentements populaires à Grande Comore, mais exacerba en contrepartie les aspirations sécessionnistes à Anjouan et Mohéli, de plus en plus laissées pour compte, en vertu de l’implacable logique des vases communicants.

Conséquence de la paupérisation généralisée, pendant ces années 1990 plus encore que pendant la décennie précédente, Mayotte la française devint un Eldorado pour Anjouanais et Mohéliens désespérés. Entassés sur des rafiots de fortune ou par tout autre moyen, les réfugiés affluèrent en masse à la recherche d’un salut économique et social qu’ils ne trouvaient plus chez eux[7].

* * *

L'année 1997 marqua un tournant majeur dans l’ère post-coloniale comorienne, voire africaine. Une de ces accélérations de l'Histoire qui ravissent les historiens quand elles ont le bon goût d'aller dans la direction attendue, celle du fameux Vent de l'histoire. Mais cette fois-ci, le vent de l'Histoire tempêta en direction opposée, autant dire en sens interdit…

La tension alla soudain crescendo à partir de janvier 1997. Aux manifestations de fonctionnaires non payés (10 mois d'arriérés) succédèrent celles des lycéens privés de professeurs (ceux-ci étant, logiquement, en grève de longue durée). De nombreux affrontements avec les forces de l'ordre marquèrent la période, avec leur lot de blessés et d'arrestations. Or, loin d'apaiser les esprits, la répression radicalisa l'opinion anjouanaise dans sa détermination à en découdre avec le pouvoir central, désormais plus détesté que jamais.

Le 23 juin, fidèles à une habitude ancienne, des sécessionnistes hissèrent subrepticement le drapeau français devant la préfecture de Moutsamoudou. Les coupables furent prestement mis aux arrêts sur ordre des autorités.

Le 6 juillet, jour de fête nationale, faisant fi des consignes et autres mises en garde officielles, la population anjouanaise refusa de célébrer la fête nationale de l'indépendance. Les fonctionnaires allèrent travailler et les commerçants ouvrirent boutique comme un jour ordinaire.

Huit jours plus tard en revanche, le 14 juillet 1997, le peuple d'Anjouan chôma. A Moutsamoudou, « capitale » de l'île, les drapeaux tricolores fleurirent aux fenêtres, et le slogan « Vive la France » envahit les murs de la ville. Défiant les autorités, dans un immense élan de ferveur populaire, les Anjouanais descendirent dans la rue, brandissant des portraits du président Chirac. Tandis que la foule entonnait la Marseillaise, on hissa les couleurs dans la liesse. La gendarmerie, fidèle au pouvoir central, tenta de s'y opposer. S'ensuivirent de violents affrontements, qui tournèrent à l'avantage des manifestants, trop nombreux pour être contenus. Mais les révoltés d'Anjouan n'avaient pas l'intention de s'en tenir à des symboles. Ce qu'ils entendaient bien conduire, c'était une révolution. Aussi, ce 14 juillet 1997, l'insurrection prit un tour inédit : l'île annonça non seulement qu'elle faisait sécession de la République islamique des Comores, mais encore elle proclama son rattachement à la France…

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La télévision française ne s’avisa d’abord pas d’occulter cette révolution à contre-courant de l’Histoire, que les rédactions avaient naturellement tendance à trouver sympathique. Au 20 heures de TF1, les murs de Moutsamoudou ornés de « Vive la France » s’étalèrent plein écran.

Mais la torpeur estivale ayant ses limites même au Quai d’Orsay (alors socialiste), le tir fut promptement rectifié. Dans les jours qui suivirent, le soudain patriotisme français des Anjouanais, expliquèrent en chœur les télévisions hexagonales reprises en main, n’était motivé que par l’appât du gain, que la « vitrine » Mayotte exposait malencon-treusement à leur convoitise[8]. En d’autres termes, les Anjouanais n’étaient que de vulgaires intéressés, qui drapaient leur détresse dans une francophilie de comédie. Ces hommes et ces femmes qui entonnaient la Marseillaise en brandissant le drapeau bleu, blanc, rouge ? Des immigrés en puissance, avides de prestations sociales made in France, RMI, allocations familiales, etc.

Si ces Comoriens n’étaient, ma foi, que de vils bonimenteurs, pourquoi faire écho à leurs carabistouilles ? Tandis que le gouvernement français réaffirmait son attachement à l’unité territoriale de la République des Comores[9], les médias audiovisuels français cessèrent donc d’informer la « métropole » de l’agitation anjouanaise. Anjouan disparut des écrans de télévision et des journaux des grandes radios. Alors que France 2, TF1 et France Inter avaient sans sourciller tourné la page, RFI seule continua de jouer son rôle, en relatant jours après jour les développements de la crise anjouanaise.


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Car l’Histoire continua de se dérouler, en marge du black-out audiovisuel français. Un black-out bien pratique d’ailleurs, puisque les autorités de Grande Comore, avec l’accord explicite des autorités françaises[10], refusèrent de reconnaître la sécession d’Anjouan, et bien sûr son rattachement à la France.

Le 18 juillet 1997, le leader du mouvement, Foundi Abdallah Ibrahim, adressa au président de la République islamique des Comores une lettre dans laquelle il signifiait que « l'île d'Anjouan appartient aux Anjouanais et qu'elle est officiellement rattachée à la République française depuis le 14 juillet 1997 ».

Le 21 juillet, les leaders de la rébellion, Foundi Abdallah Ibrahim et Ahmed Charikane, furent arrêtés sur ordre de Grande Comore. Mais ce coup de force gouvernemental, loin d’enrayer le mouvement révolutionnaire, qui bénéficiait d'un soutien populaire massif, mit le feu aux poudres : Anjouan s'embrasa de plus belle. Si bien que quatre jours plus tard, les autorités comoriennes firent machine arrière, et ordonnèrent que les leaders anjouanais soient libérés (27 juillet), ceux-ci ayant promis d'appeler la population au calme et d’ouvrir des négociations avec le gouvernement de Grande Comore.

Le pouvoir comorien s'inquiétait d'autant plus que la révolte, chaque jour plus ample à Anjouan, se propageait à présent à Mohéli. Le 29 juillet 1997, d'importantes manifestations tournèrent à l'insurrection sur la plus petite des îles de l’archipel. Imitant les insurgés anjouanais, les manifestants mohéliens hissèrent les drapeaux français et déclarèrent leur intention de proclamer à leur tour l'indépendance de leur île et, bien sûr, son rattachement à la France...

Le 1er août, le président de la République des Comores, Mohamed Taki, monta au créneau. Dans une allocution radiodiffusée, il enjoignit solennellement les sécessionnistes anjouanais et mohéliens de renoncer à leur projet, menaces à l'appui.

Le surlendemain, le 3 août, les sécessionnistes anjouanais réaffirmèrent leur détermination à rompre définitivement avec Grande Comore et, une nouvelle fois, proclamèrent l'indépendance de leur île, et son rattachement à la France. Une semaine plus tard, le 11 août, les sécessionnistes de Mohéli les imitèrent, en proclamant l'indépendance de leur île, et le lendemain, son rattachement à la France.


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Entre-temps, le 9 août, l'OUA (Organisation de l'Unité Africaine), avait condamné la sécession anjouanaise, qu'elle refusa par conséquent d'entériner. Le 13 août, au lendemain de la sécession mohélienne, ce fut l'Union Européenne qui affirma son attachement à l'unité territoriale et politique de la République islamique des Comores.

Fort de ce soutien international unanime, et exaspéré par l'obstination des Anjouanais et des Mohéliens, le gouvernement comorien crut le moment venu d'employer la force.

Le 3 septembre, quelque deux cents soldats quittèrent Grande Comore et débarquèrent à Anjouan. Les insurgés, animés par l'ardeur révolutionnaire et toujours soutenus par le peuple anjouanais, défirent leurs assaillants. Les combats firent deux morts dans les rangs de l'armée comorienne, une centaine de soldats furent faits prisonniers.

Au spectacle de cette cinglante défaite, la France s'agita, et appela de ses vœux la reprise du dialogue entre les insurgés et les autorités comoriennes. Pour « aider » à la négociation, l'OUA décréta la mise sous embargo d'Anjouan et Mohéli. La manœuvre avait pour but de faire plier les sécessionnistes. Dans les faits, cet embargo eut surtout pour conséquence d'aggraver un peu plus les souffrances et privations des Anjouanais et des Mohéliens, et de les raffermir dans leur détermination séparatiste.

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Par la suite, Anjouan a sombré dans la guerre civile, et le choléra a fait des dégâts. Année après année, le peuple d'Anjouan persista à fêter le 14 juillet et à réaffirmer, encore et toujours, sa volonté d'être reconnu français.

Aujourd’hui, en l’an 2005, la République islamique des Comores n’est plus qu’une entité virtuelle. Anjouan jouit d’une autonomie équivalant à une quasi-indépendance de fait, au sein la République comorienne devenue fédérale. Car malgré les gigantesques pressions comoriennes, africaines, françaises et internationales, l’île n’a jamais vraiment accepté sa réintégration forcée dans l’ensemble comorien.

Quant à sa proclamation de rattachement à la France, elle est restée, bien entendu, lettre morte.

L’attitude des dirigeants français s’explique aisément, qui dans une logique gaullienne ont d’abord espéré voir ces hurluberlus d’Anjouanais et de Mohéliens revenir à la raison à coups de fusils automatiques expressément dépêchés par Grande Comore, sous la molle réprobation de l’OUA et le silence assourdissant de la communauté internationale. En effet, les Anjouanais retrouvant les chemins de la République et de la patrie française, ne risquaient-ils pas de donner un très mauvais exemple aux autres peuples d’Afrique ?

Au Quai d’Orsay comme à l’Elysée, les stratèges qui nous gouvernent ne connaissent que trop les murmures francophiles dont l’incorrigible Afrique est sans cesse parcourue. Pour autant, nul ne doute que prêter l’oreille aux revendications anjouanaises, et leur accorder satisfaction, c’était envoyer un signal fort en direction de tous ces peuples noirs dont le Général avait, pour les raisons que l’on sait, si adroitement « débarrassé » la France.


Réintégrer Anjouan et Mohéli (et demain, c’est à craindre, la Grande Comore elle-même !), c’eût été non seulement réintégrer à l’arrivée un demi million de Comoriens musulmans particulièrement « arriérés » entassés sur une poignée d’îles surpeuplées, mais de surcroît prendre le risque de déclencher une réaction en chaîne à travers tout le continent[11]. L’Afrique subsaharienne se hérissant de drapeaux bleu-blanc-rouge, c’est tout l’édifice rhétorique du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » qui aurait volé en éclats.

L'idéologie de la Vème République, cette construction intellectuelle si pleine de succès auprès du peuple français[12], mise d’un coup à terre par une poignée de Nègres de l’océan Indien : quel gâchis !

Alexandre Gerbi
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[1] Dans Présence Africaine n°1, André Gide citait ainsi Rabelais : « (...) l’Afrique apporte toujours quelque chose de rare », fidèle à la forme sous laquelle il aurait découvert l’aphorisme, chez Flaubert.
[2] Ou plus exactement gaullo-sartrienne. Voir « L’axe de Gaulle-Sartre » in Un Mensonge français de G.-M. Benamou, Robert Laffont, 2003.
[3] Le président Abdallah avait, comme d’autres chefs d’Etat africains, la double nationalité franco-comorienne…
[4] « La France du XXIème siècle sera africaine ou ne sera pas ». « Des Flandres au Congo, il y a la loi, une seule nation, un seul Parlement. C'est la Constitution et c'est notre volonté », déclarait François Mitterrand, ministre de l'Intérieur, en novembre 1954. Cité par Jean-Pierre Rioux, in La France de la IVème République, Ed. du Seuil, 1983, p. 67.
[5] Certains n’hésitent pas à dévaluer ce pan de l’histoire comorienne et à le réduire à une manipulation de l'extrême droite française et même du Front National. Ainsi, par exemple, quand il relate les événements anjouanais, François-Xavier Verschave (Noir Silence, Ed. Les Arènes, 2000, « Les Comores à l'encan », p. 133 et sq.) se garde bien de dévoiler au lecteur le caractère ancien, populaire et récurrent du phénomène, tout au long des années 1980 et 1990. Il finit par conclure : « Il faudra bien (...) que les Comoriens se ressaisissent de leur histoire, qu'ils produisent un Etat compatible avec leur culture fort peu étatiste. » (Ibid., p. 148). M. Verschave sait sans doute mieux que les Comoriens quel genre d’Etat conviendrait aux Comoriens...
[6] On dénombre aujourd'hui 600 habitants par km² à Anjouan.
[7] La population de Mayotte est passée de 40.000 habitants en 1975 à plus de 150.000 en 2004.
[8] « « Il s’agit d’un problème spécifique, avant tout économique et social. Mayotte qui est restée française en 1975 exerce une attraction sur les trois îles indépendantes », estime un expert gouvernemental des Affaires africaines qui assure que les séparatistes anjouanais « veulent être directement branchés sur la pompe à finance française » ». Sabrina Rouille, « Nouvelle velléité séparatiste », L’Humanité, 7 août 1997.
[9] « Paris plaide pour le maintien de l'intégrité territoriale des Comores. Aux « Vive la France ! » clamés dans l'archipel des Comores, aux drapeaux français hissés sur les bâtiments publics et les mosquées des îles d'Anjouan et de Moheli, Paris répond par une discrétion déterminée. » Rémy Ourdan, « Les séparatistes mettent la France dans l’embarras », Le Monde, 9 août 1997
[10] « Le Quai d'Orsay souhaite le maintien de “ l'intégrité territoriale” de l'archipel » notera Le Monde dans son édition datée du 5 août 1997.
[11] Bien évidemment, les intéressés prirent soin de s’en défendre : « Dans les milieux gouvernementaux (français), on ne croit pas que les revendications « rattachistes » puissent s’étendre à d’autres pays africains. » écrivait Sabrina Rouille dans l’Humanité, le 7 août 1997. En application du principe de la méthode Coué ?
[12] Et de bien des élites, bourgeoisies et intelligentsias africaines…



20 oct. 2019

Obscurantisme ou les Lumières en négatif : L’impensé de notre temps






Obscurantisme

ou les Lumières en négatif :

L’impensé de notre temps



par

Alexandre Gerbi




Et si la poussée islamiste n'était qu'une des multiples conséquences de l'effacement de la France comme puissance idéologique et comme puissance tout court ?


   Après le grand nombre d'attentats commis au nom de l'islam intégriste en France et dans le monde, de se polariser sur la radicalisation musulmane. Et après tout, on n'aurait pas tout à fait tort, puisque ce phénomène, outre son ampleur, possède sa dynamique propre. Une dynamique impulsée, on le sait bien, par les pétromonarchies saoudiennes et qatariennes, qui financent depuis des années et même des décennies, à coups de milliards de dollars, le projet islamiste à travers la planète. De Djakarta à Casablanca, le monde musulman tout entier en porte aujourd'hui les stigmates, entre femmes voilées, hommes barbus en kamis et autres modes du halal et du ramadan scrupuleusement observés, en particulier parmi les jeunes, entre autres joyeusetés sorties tout droit d'un Moyen Âge qu'on pouvait croire, naguère encore, révolu. Autant de comportements collectifs dûment provoqués, mais qu'il est de bon ton de justifier par des choix personnels dont les tenants sont, pourtant, des marionnettes.

    Au demeurant, tout comme la bouteille peut être vue aussi bien à moitié vide qu'à moitié pleine, tout comme un mouvement peut être vu comme une immobilité au regard d'un objet qui bouge au diapason, ce phénomène pourrait bien n'être, en réalité, que l'effet d'un autre, nettement moins identifié mais qui en est la vraie cause.

    Il est loisible au fou de défier les lois de la gravité et de s'élancer dans le vide. Dans ce cas, pour peu que l'étage choisi soit assez élevé, ledit fou s'écrasera, et mourra instantanément, en arrivant sur le sol à grande vitesse. La France connaît ce triste sort. Son Etat, voilà une soixantaine d'années, a défié les lois de la gravité. Il suffit d'observer l'histoire mondiale pour constater que tous les pays ont toujours défendu bec et ongles leur territoire. L'assise géographique, et démographique, paraissant depuis la nuit des temps, et comme une évidence, être le ressort de la puissance, de l'indépendance et, partant, de la survie. Défiant cette loi universelle, les chefs français, au prix il est vrai d'intrigues étrangères qu'il serait trop long de mettre ici au jour (1), ont jugé bon de bazarder ce qu'on appelait alors l'Outre-Mer. Sous le nom de "décolonisation" (alors qu'il s'agissait en fait d'un tremplin du néocolonialisme, mais ce sujet appellerait là encore de trop longs développements (2)), la République française, ou plutôt la République franco-africaine, fut ainsi démantelée en quelques petites années (1958-1962). Le tour de force propagandiste consista à faire passer pareille trahison réactionnaire, pareille folie antidémocratique et antisociale, pour une merveille progressiste, avec l'appui et la complicité de beaucoup de ceux qui se réclamaient de ce dernier camp. Le résultat, nettement plus prosaïque, fut le basculement d'immenses territoires, et de leurs populations, dans d'effarantes régressions, sans que l'ampleur du désastre n'induise jamais la moindre remise en question du bien-fondé du processus...

   La résultante fut, comme il fallait s'y attendre, un effroyable abaissement des anciens territoires de l'outre-mer africain, mais aussi de ce qui restait de la France. Réduit pour ainsi dire à l'Hexagone, le Pays perdit toute chance de jouer dans la cour des grands, à l'heure où des géants se bousculaient au portillon de l'Histoire.

  Mais la perte de puissance géographique, démographique et économique, ne se solda pas uniquement par une relégation politique. Elle conduisit aussi à l'effondrement idéologique. Condamnée, comme puissance moyenne, et bientôt comme puissance de troisième ordre, à devenir le protectorat du géant de ses parages (en l'occurrence les Etats-Unis), la France vit le modèle, social comme idéologique, dont elle était dépositaire, voué à s'étioler et à disparaître. Ainsi la laïcité, dont elle était le phare, le chantre, la championne à l'échelle planétaire, déclina. Jusqu'à s'éroder puis s'effondrer, y compris chez elle.

  Sous cet angle, les succès de l'islamisme ne sont pas tant l'effet d'une dynamique propre à l'islamisme, que la conséquence de l'écroulement de la nation qui était le bastion des Lumières, son opposé.

   D'ailleurs, il faut bien le constater, l'islamisme n'est pas la seule manifestation de l'obscurantisme contemporain, mais simplement l'une de ses facettes. A ses côtés, l'obscurantisme chrétien, l'obscurantisme juif, mais aussi l'obscurantisme économique, l'ultra-libéralisme antisocial, ont eux aussi le vent en poupe.

   L'obscurantisme chrétien, ce sont ces sectes protestantes, avec leurs pasteurs faiseurs de miracles, qui officient et prolifèrent dans les banlieues françaises, non loin de leurs collègues salafistes. 

   L'obscurantisme juif, ce sont ces calottes multipliées dans certains quartiers de Paris, assorties des pratiques les plus archaïques, qui sont autant de transitions vers une "alya" qui, si elle arrange évidemment l'Etat israélien, a pour effet de vider la France de ses juifs. Ce qui permet à un Houellebecq de lâcher cette lugubre et ironique sentence : "La Ve République va réussir là où Vichy a échoué."

   L'obscurantisme ultra-libéral antisocial, c'est Macron qui, après ses funestes prédécesseurs, pour ne pas dire ses clones, achève de liquider le Pays, de brader son patrimoine, et de détruire son modèle social, que les peuples du monde entier pourtant nous envient, mais que détestent ses maîtres milliardaires et financiers qui l'ont fait roi.

   Cette petite liste des obscurantismes contemporains n'étant, bien entendu, nullement exhaustive...

   Au fond, l'islamisme de notre temps, qui inquiète tellement parce que ses victimes sanglantes sont plus visibles que les autres, n'est qu'une des facettes du puissant flux qui s'engouffre dans le vide laissé par la puissante France des Lumières qui a disparu et dont l'assassinat jamais identifié ni dénoncé, survenu entre 1958 et 1962, reste l'un des plus grands tabous de notre époque. Comme l'obscurantisme, son pendant négatif, gigantesque impensé.

                                                                                 Alexandre Gerbi


(1) Lire en particulier mon dernier ouvrage, Le Cinquième Saut ou Le Livre blanc de Charles de Gaulle, Chronique d'une Résurrection, Editions du Plaqueminier, 2019.
(2) Lire par exemple L'Amor est morte, De la "décolonisation" et de l'avenir franco-africain, contribution pour le Grand Symposium Franco-Africain 2010, en libre accès sur le blog Fusionnisme.