30 oct. 2009

Identité Nationale : Les « flous de mémoire » du gaulliste Max Gallo





Identité Nationale :


Les « flous de mémoire »

du gaulliste Max Gallo



par


Alexandre Gerbi
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Depuis des années, Max Gallo fait un peu partout l’apologie du général de Gaulle. Télé, radio, presse écrite : l’ex-homme de gauche est devenu, au fil des années, l’un des hagiographes officiels du fondateur de la Ve République.

Or camper systématiquement Charles de Gaulle en saint républicain, cela pose quelque problème. Du moins pour qui s’est donné la peine de se pencher un peu, et surtout sans œillères, sur le cas de Gaulle.

Mais il semble que Max Gallo ne se soit pas donné cette peine. A moins qu’il préfère oublier ce qui ne cadre pas avec le mythe d’un Général exemplaire incarnant la République et la France…

Quand France Inter balance sur de Gaulle

Mardi 27 octobre 2009, dans le « 7-10 », journal du matin de France Inter, Max Gallo était invité à donner son avis au sujet du débat sur l’identité nationale que lance l’Etat sarkozyen.

L’émission prit un tour atypique lorsque le journaliste-animateur, Alain Le Gouguec, posa cette étrange question à l’historien :

« Ce matin, en préparant cette émission, je suis tombé sur le blog de Gérard Gachet, qui est porte-parole du ministère de l’Intérieur, de Michèle Alliot-Marie. Il écrivait le 1er avril 2007, en pleine campagne présidentielle, une sorte d’éditorial qu’il intitulait « Flotte petit drapeau » (…), et il citait le général de Gaulle, des propos rapportés par Alain Peyrefitte. Le général de Gaulle définissait la France comme « un pays européen, essentiellement de race blanche, de culture gréco-romaine, et de religion judéo-chrétienne ». Ça laisse pantois, quand même, de voir qu’on puisse se référer à de telles citations, qu’il faut replacer dans un contexte historique, citation sortie de la bouche d’un homme qui est un homme, peut-être, d’un autre siècle… Max Gallo ? »

Le « flou de mémoire » de Max Gallo

Manifestement embarrassé, l’historien fit mine de ne pas connaître précisément cette citation :

« Ecoutez, j’ai écrit une biographie du général de Gaulle. Cette citation, je n… je n… En tout cas, elle ne me surprend pas, puisque de Gaulle a fait d’autres citations du genre, « La France est un pays chrétien, Clovis a été baptisé ». Il y avait donc en lui un enracinement dans une tradition française, dans une partie de l’histoire française… Simplement, ce que je retiens, moi, de de Gaulle, ça n’est pas cette citation, qui est réelle, qui est exacte, enfin j’imagine, je ne l’ai pas sous les yeux, mais en tout cas, on peut… Il a fait des discours, des citations semblables… Ce que je retiens de lui, c’est le CNR, c’est Jean Moulin, c’est le choix face à une France qui est celle de Pétain, l’affirmation d’une France républicaine dans laquelle de Gaulle dit : « Je n’ai autour de moi que des Juifs lucides, quelques aristocrates et d’autres déclassés » à Londres en 1940. »

A la minute 15’08 :

http://www.dailymotion.com/video/xaxwd3_lidentite-nationale_news

Bizarre « flou de mémoire » pour un spécialiste de Charles de Gaulle, d’autant que la citation en question est bien connue. Non seulement depuis 1994, avec la publication chez Fayard de C’était de Gaulle d’Alain Peyrefitte, mais aussi depuis, au moins, 1967, puisque le grand journaliste politique JR Tournoux, dans La Tragédie du Général, chez Plon, lui prêtait des propos identiques.

Pourquoi Max Gallo fit-il semblant de ne pas avoir en tête cette citation pourtant fameuse – sans vraiment, il est vrai, oser dire clairement qu’il ne la connaissait pas…

De Gaulle dans le texte

D’abord parce que cette citation est encore plus gênante qu’il n’y paraît.

En effet, la formule est ici tronquée, et même un peu déformée. La citation exacte et plus complète dit :

« C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne se raconte pas d’histoires ! Les musulmans, vous êtes allé les voir ? Vous les avez regardés, avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! » (C’était de Gaulle, tome 1, p. 52)

L’amnésie de Max Gallo présente une autre utilité. Feindre de ne pas en avoir de souvenir précis, permet d’évacuer la date où cette citation fut prononcée. Or Peyrefitte la fixe au jour près : le 5 mars 1959.

De là, dans sa réponse à Alain Le Gouguec, Max Gallo peut, sans complexe, renvoyer au de Gaulle de 1940, alors même que cette réflexion date de… dix-neuf ans plus tard !

Somme toute, c’est un peu comme si l’historien, interrogé sur une citation du maréchal vichyste, avait répondu : « Ce que je retiens, moi, de Pétain, c’est le héros de Verdun ».

Largage anti-bougnoulisation

Pourquoi tant de faux-fuyants ?

En réalité, cette citation prend place dans un florilège de réflexions par lesquelles le Général justifia, à l’époque, son entreprise de démantèlement de l’ensemble franco-africain. Le largage de l’Outre-mer visait notamment à empêcher la « bougnoulisation » de la France qu’aurait entraînée l’octroi de l’égalité politique. D’ailleurs, de Gaulle déplora devant Peyrefitte que « nos Africains » aspiraient bien davantage à l’égalité politique et sociale qu’à l’indépendance…

Cette citation résume l’un des grands axes de la pensée du Général. Elle témoigne de convictions qui, partagées par la majorité des politiciens métropolitains de l’époque, conduisirent à l’exclusion des populations d’Algérie et d’Afrique noire, au gré d’une (re)définition très spéciale de l’identité française, habilement dissimulée sous la rhétorique du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».

La Ve République blanciste est l’héritière de cette sidérante machination, en même temps que sa cacochyme, quoique obèse, créature...

Coupables d’être Français arabo-berbères et musulmans

Max Gallo connaît ces méandres cruciaux. Pour autant, il préfère botter en touche, quitte à participer subtilement, ainsi, à une manipulation criminelle.

Manipulation criminelle, car pour mieux occulter le rêve de la fraternité franco-africaine broyée par de Gaulle entre 1958 et 1962, le régime et ses alliés ont abreuvé le bas peuple de mensonges. Ils firent et font toujours du FLN le glorieux vainqueur de la guerre de « libération » algérienne, et présentent les partisans de l’Algérie française de l’Intégration (c’est-à-dire, à l’époque, de l’égalité et de la diversité dans la République) comme des fascistes, et les Harkis comme des « collabos », traîtres au peuple algérien.

Recrue de ces simplismes délétères, en l’an 2009, dans les banlieues françaises, une grande partie de la jeunesse exècre les Harkis, maudit de plus en plus souvent la France et brandit, fort logiquement, le drapeau FLN, devenu celui de l’Algérie indépendante…

Clef de voûte du système : depuis des décennies, le Général-Président en gloire, érigé en idole infaillible, presque sacrée, lui qui bazarda les Nègres, lui qui offrit si lucidement l’Algérie au FLN et lui livra non moins lucidement les Harkis pour le supplice et pour la mort, parce qu’ils étaient coupables d’incarner l’unité franco-africaine qu’il convenait, définitivement, d’anéantir.

Parce que les Harkis étaient coupables, aussi, d’être ce qu’ils étaient : des Français arabo-berbères et musulmans... D’ailleurs, les rescapés, parvenus en France, furent enfermés dans des camps.

Un révolutionnaire aggiornamento

Max Gallo et ses pairs, intellectuels, hommes de médias ou politiques, continueront-ils encore longtemps de mentir et de contribuer, sans toujours s’en apercevoir, à la dislocation de notre cher et vieux pays ?

Puisse le débat sur l’Identité nationale, évidemment indispensable compte tenu de l’ampleur des blocages et des intérêts menacés, des compromissions stratifiées, être l’occasion d’un révolutionnaire aggiornamento, et non d’un énième crime contre la France, l’Afrique et leur mémoire commune, tellement falsifiée.

Et puissent Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï, qui assiègent le Palais Bourbon depuis six mois au nom de quarante-sept ans de martyre Harki, cesser d’être les damnés de la « terre » de la Ve République blanciste, pour devenir, comme leurs pères, des héros africains de la République française.

Pardon, de la grande Ve République égalitaire franco-africaine, qui fut assassinée il y a bientôt cinquante ans...


Alexandre Gerbi




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15 oct. 2009

Les Harkis, Mitterrand, Drucker : Arcanes d’une omerta médiatique





Les Harkis, Mitterrand, Drucker :

Arcanes d’une omerta médiatique



par


Alexandre Gerbi
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Samedi 10 octobre 2009, nous annoncions (en exclusivité) que Frédéric Mitterrand, invité le lendemain dans Vivement Dimanche sur France 2, parlerait des trois « Harkis », Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï, qui assiègent l’Assemblée nationale depuis plus de cinq mois. Sous le silence religieux, presque absolu, des médias français…

Dans ce contexte, l’intervention du ministre de la Culture a-t-elle finalement eu la puissance nécessaire pour briser la glace, et provoquer une révolution française, africaine, et enfin planétaire, comme nous l’envisagions alors ?

Malheureusement, l’intervention de « Fred » eut lieu, de façon lapidaire, par vidéo interposée… En conséquence, l’info est passée presque inaperçue. A qui la faute ?

« Et on ne fait pas attention à eux… »

Si Frédéric Mitterrand, le dimanche 11 octobre 2009, a parlé des Harkis, ce n’est pas en plateau. En fait, l’évocation de l’épopée des trois assiégeurs du Palais Bourbon, qui exigent que l’Etat français reconnaisse ses éminentes responsabilités dans la tragédie qui frappa leur communauté, des massacres aux camps, s’est limitée à une séquence de quinze secondes, inscrite au milieu d’un reportage intitulé « La Journée d’un Ministre », diffusé à mi-parcours de Vivement Dimanche. En plein après-midi, tout de même, sur la deuxième chaîne du service public…

Pendant ces quinze secondes, on voit Frédéric Mitterrand, après avoir siroté son café au zinc d’un beau troquet parisien, rendre visite aux trois assiégeurs du Palais Bourbon. La séquence est intitulée « Rencontre avec des Harkis », en lettres élégamment typographiées en bas d’écran.

Premier plan : Fred s’approche d’une voiture où il surprend Zohra, le visage très fatigué mais souriante : « Bonjour… Ça vous ennuie qu’on vous filme ? » demande-t-il, plein de tact, alors que la caméra de France 2 tourne déjà…

Plan suivant, Frédéric Mitterrand explique : « Vous voyez, ça fait quatre mois qu’ils sont là, un peu plus même, quatre mois et demi… Ils dorment dans la voiture… Parce qu’ils soutiennent une cause qui est juste… Et on ne fait pas attention à eux… C’est vraiment beaucoup de courage…»

Pendant qu’il parle, plan fixe de cinq secondes sur une banderole où on peut lire : « Les Harkis sont victimes d’une atteinte d’un droit à la liberté d’information au public par les médias : où est la démocratie ? »

Plan suivant : le beau Fred sert la main à Abdallah, enfourche son scooter et file vers d’autres horizons plus cossus…

Erreur orthographique capitale

Une scène ultérieure de « La Journée d’un Ministre » montre Fred au château de Compiègne, au moment de signer un livre d’or, plaisantant sur une faute d’orthographe commise sur son nom : il manque un R à Mitterrand… Zoom sur le livre d’or et la faute d’orthographe en question…

Lorsque s’achève le reportage, retour en plateau. Michel Drucker, tout sourire sur ses coussins cramoisis, choisit alors de revenir, non pas sur les Harkis, mais… sur la faute d’orthographe !

« Alors y’en a encore qui écrivent Mitterrand avec un R, certains avec un T…»

Manifestement, les Harkis qui assiègent l’Assemblée nationale et l’Etat sarkozyen depuis des mois sous l’œil impavide des médias français, sont moins important qu’un R oublié dans la graphie du nom Mitterrand sur un livre d’or, dans une certes très bourgeoise sous-préfecture de province…

Pourquoi Michel Drucker a-t-il choisi de glisser discrètement sur un sujet qui est un tabou absolu ?

La réponse est dans la question…

Le vieux routier de la République blanciste

En vieux routier de la Ve République blanciste (n’en doutons pas, à son corps défendant…), Michel Drucker sait parfaitement ce qu’il est permis de dire, et ce qui ne l’est pas. Evoquer fortuitement certains sujets, d’accord. Mais à condition de ne pas faire montre d’une insistance malséante, qui pourrait faire entrer l’animateur vedette dans la « zone dangereuse »…

Cette prudence n’est pas sans précédent.

Le 18 avril 2004, sur le même plateau de Vivement Dimanche (invité : Jean-Pierre Elkabbach), l’humoriste algérien Fellag déclara en substance – et très sérieusement : « On a beaucoup dit que les Pieds-Noirs avaient été déchirés en quittant l’Algérie. Mais a-t-on dit combien, nous les Algériens, nous étions déchirés de les voir partir ? Bien sûr qu’il y avait des colons. Mais les colons représentaient 3 à 5 % des Pieds-Noirs. Les autres étaient des petites gens, avec qui nous nous entendions plutôt bien. »

On aurait pu s’attendre à une réaction de surprise, puisque la remarque de Fellag piétinait une des grosses tartes à la crème de la Ve République blanciste : le racisme quasi-proverbial des Pieds-Noirs, la haine réciproque qui les opposait aux Algériens, perpétuellement mise en avant pour justifier leur éviction collective d’Algérie en 1962… Pourtant, comme dans l’affaire des Harkis du Palais Bourbon, Michel Drucker s’est abstenu de toute remarque, de tout étonnement qui aurait pu déranger le système. Et pour cause : s’il est l’insubmersible présentateur-vedette que l’on sait depuis plus de quarante ans, c’est que Michel n’est pas une tête brûlée et sait jongler en virtuose avec les différents codes et autres devoirs de réserve…

Pour savoir de quelle limite il est ici question, et quelle puissance occulte veille au respect de cette sacrosainte limite, il faut se tourner vers les journalistes politiques, qui parlent en connaissance de cause. Or quelques-uns d’entre eux ont, ces dernières années, au moins une fois, craché le morceau.

L’aveu d’Elisabeth Lévy

Dans l’émission de Thierry Ardisson, « 93 Faubourg Saint-Honoré » sur Paris-Première, « Dîner FOG » (Franz Olivier Giesbert), diffusée le mardi 21 mars 2006, autour de la table somptueusement dressée, sous la lueur mordorée et vacillante des candélabres, une fricassée du gratin journalistique parisien se lâcha en ces termes exacts :

Pierre Bénichou : C’est par haine, non seulement des Pieds-Noirs, mais aussi des Arabes musulmans, que (de Gaulle) a abandonné l’Algérie comme il l’a fait. Dites-vous bien que de Gaulle (murmures autour de la table)… Mais oui !

Eric Zemmour : Mais non… Il abandonne l’Algérie parce que, un : ça nous coûte trop cher ; deux : parce qu’il y a un vrai problème démographique…

Thierry Ardisson (rigolard) : Eh, Eric, en France, y’a deux trucs : c’est Vichy et l’Algérie…

Eric Zemmour : Toute l’histoire du XXe siècle !

Elisabeth Lévy (apparemment un peu pompette) : Les trucs dont on est supposé ne jamais parler, soi-disant… (rires autour de la table, acquiescements hilares d’Eric Zemmour).

A la minute 7’45 :

http://www.dailymotion.com/relevance/search/zemmour+levy+benichou/video/x3cftt_immigration-zemmour-contre-disiz-la_news

Que suggérait donc Elisabeth Lévy, en évoquant ces « trucs dont on est supposé ne jamais parler », déclenchant ainsi l’hilarité d’Eric Zemmour ? Certainement pas que la guerre d’Algérie est un sujet tabou : de nombreux films et documentaires ont été diffusés à la télévision depuis une vingtaine d’années, levant le voile notamment sur la torture et les crimes de l’armée française et du FLN.

Interdit sous peine de redoutables sanctions

En réalité, Elisabeth Lévy voulait dire simplement que parler de certains aspects de la guerre d’Algérie et de la « décolonisation » (crainte de la « bougnoulisation » par exemple, et largage en conséquence…) tels que ceux qui venaient d’être effleurés autour de la table notamment par Pierre Bénichou (mais que l’animateur avisé Ardisson sut faire opportunément bifurquer par une plaisanterie lancée à Zemmour) est interdit, sous peine de redoutables sanctions…

Voilà qui permet d’entrevoir l’ambiance qui règne dans les rédactions en France… Et qui permet d’expliquer pourquoi, à l’instar de Drucker choisissant de s’appesantir sur le R manquant dans le nom de Mitterrand sur un obscur livre d’or compiégnois, une omerta médiatique presque parfaite entoure depuis plus de cinq mois le siège du Palais Bourbon et de l’Elysée par Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï, en dépit (ou à cause) de ses dimensions éminemment symbolique et spectaculaire.
On ne met pas le doigt dans ce qui brûle, ni dans un engrenage qui pourrait broyer la main, puis le reste…

A l’heure où les places sont plus chères que jamais, quel journaliste, quel rédacteur en chef suicidaire (ou improbablement téméraire) pourrait oser faire ce que Michel Drucker lui-même, du haut de ses quarante ans de carrière et de ses audimats insolents, s’interdit sagement de faire ?



Alexandre Gerbi




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10 oct. 2009

Frédéric Mitterrand et les Harkis





Frédéric Mitterrand

et les Harkis



par


Alexandre Gerbi
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Demain, dimanche 11 octobre 2009, dans l’émission Vivement Dimanche de Michel Drucker, sur France 2, Frédéric Mitterrand devrait parler de Zohra Benguerrah, d’Abdallah Krouk et de Hamid Gouraï, les trois assiégeurs du Palais Bourbon.

Ces trois-là qui, depuis plus de cinq mois, vivent jour et nuit sur le trottoir de l’Assemblée nationale, place Edouard Herriot, à Paris, dans le mépris quasi-total des médias de la Ve République blanciste.

Chaque jour, ils déploient patiemment d’immenses banderoles sous les yeux des députés qui les ignorent et beaucoup plus rarement les insultent, parfois les menacent.

En butte aux persécutions de la Préfecture de Police – selon eux, intimidations, provocations physiques de l’Inspecteur général lui-même –, ils ont noué les meilleurs rapports avec le voisinage. Renseignements généraux et gendarmes préposés à la garde de l’Assemblée nationale leur témoignent une cordialité mêlée de respect. Une humanité poignante, quand on sait l’ampleur du drame qui se joue derrière ces mots, ces attitudes et ces regards.

Frédéric Mitterrand passait par là

Un soir, au début de leur siège, alors qu’il n’était pas encore ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand était passé près d’eux pendant leur repas, les avait salués, et avait parlé avec eux.

Zohra, Abdallah et Hamid, délicieux tels qu’en eux-mêmes par delà l’âpreté et la férocité de leur lutte, lui avaient expliqué leur présence ici, la mémoire de leurs pères et de tous les Harkis assassinés ou brisés, la tragédie de leur histoire, leur martyre républicain, sorte d’ode à une France qui peut-être n’est plus, mais qu’ils aiment encore.

Après ce jour, de loin en loin, Frédéric Mitterrand les salua quand il passait sur la place.

Pendant tous ces mois, Zohra, Abdallah et Hamid continuèrent à vivre sur le trottoir, subissant comme autant de flétrissures l’autisme de l’Elysée, le mépris des députés (j’ai vu de petites vedettes de gauche passer le front bas, l’attaché-case à la main), l’interdiction, un beau matin, pour Abdallah de planter sa tente – avec cette question : où dormir ? Et cette réponse : sur le banc. Après tout, c’était l’été.

« Salut les blancistes ! »

Le silence assourdissant des médias français autour de cet événement est, à lui seul, éloquent.

Comment ne rien dire, ou presque, d’une action alliant puissance symbolique et performance extrême – sixième mois de vie sur le trottoir, sur le flanc de l’Assemblée nationale, sous l’œil vitreux des députés…

Soyons clair : hormis la Septième Tribune – petit journal du 7e arrondissement de Paris, où a lieu l’événement –, Rue89 et Mediapart, sites français, Camer, IciCemac et Afrik, sites africains, ces cinq derniers titres par les soins de votre serviteur, enfin bien sûr les sites Harkis, et, last but not least, Radio Courtoisie (dans un éternel remake du « Baiser de l’araignée »), aucun média n’a jamais soufflé mot de cette affaire.

France Télévision, Radio France, TF1, RTL, Europe 1, l’Express, le Nouvel Obs, le Point, le Monde, etc. Motus et bouche cousue… « Salut les blancistes ! », comme dirait Ardisson…

Ce très suspect black out politico-médiatique, Frédéric Mitterrand, devenu depuis ministre de la Culture, ne s’est d’ailleurs pas privé de s’en étonner, la dernière fois qu’il a rendu visite à nos trois héros…

Le beau gosse et le vaillant député

Héros, pour des raisons historiques et politiques évidentes, mais aussi parce que 80% des Français sont favorables aux Harkis et à leur cause. Vous avez dit « fracture » entre, d’un côté, le peuple, et de l’autre, ses élites politiques et le petit monde médiatico-intellectuel qu’elles engendrent ? Ma foi, vous venez de définir là le principe même de la Ve République blanciste…

Mais revenons à notre Mitterrand…

Et v’là t’y pas donc que le Mitte-Mitte il se pointe comme ça, un samedi, et qu’il interroge nos trois amis, et qu’il se pâme sur le lamentable silence des médias, et même qu’il débarque avec France 2 et sa caméra tiens, vu qu’il va bientôt passer chez Drucker et Coffe et tout. Et même qu’il va tout déballer, faire péter les Harkis si tu vois ce que je veux dire. Ok j’en rajoute. Euh…

Bref, le beau gosse (j’ai pas dit le gosse) était presque aussi convainquant que le vaillant chevalier, pardon, député Lassalle (MoDem) quinze jour plus tôt. Vous voyez, celui qui chantait le bel canto basque dans l’hémicycle et faisait aussi une grève de la faim pour des histoires de montagnes. Celui-là aussi avait estimé inacceptable cette situation de nos camarades, qui durait déjà depuis quatre mois… Sur sa lancée, il avait promis de prendre à partie l’Assemblée. Et puis le temps que les procédures suivent leur cours, que voulez-vous, un mois est passé, et on attend toujours… Le problème, c’est que l’hiver approche, même si l’automne est étrangement clément, et que la main d’Abdallah cicatrise plutôt bien (brûlure au 3e degré, accident de café/réchaud)…

Mitterrand, quant à lui, tiendra-t-il parole, à la bonne heure ?

Si oui, qu’on se le dise, l’événement devrait changer le cours de l’histoire de France, le cours de l’histoire de l’Afrique, et partant, le cours de l’histoire du monde…

Pour peu, évidemment (ne croyez pas qu’on change l’histoire comme ça), que l’occasion soit saisie par quelque haute figure politique pour expliquer solennellement ce qui s’est passé il y a cinquante ans, le largage de l’Afrique pour éviter la « bougnoulisation » et déployer du même coup le néocolonialisme, que l’égalité eût conjuré, en même temps qu’elle aurait transfiguré la France, pardon, la grande République franco-africaine.

Dans ce rôle, on ne voit que Sarkozy, le PS étant en état de mort clinique.

Abjections de l’orfèvre

Or entre-temps, coup de théâtre.

La semaine même où Mitterrand doit passer le dimanche chez Drucker, voici que, le lundi, profitant d’une émission à très large audience, Marine Le Pen chie sur lui, au gré d’une de ces calomnies abjectes dont le Front National, entre autres ignominies, est un fameux orfèvre. C’est bien, Marine, tu marches sur les traces dérisoires de ton père, ceux qui espéraient en toi en prennent pour leur grade…

Ces misérables scories pousseront-elles Frédéric, dans les coussins écarlates de Michel, à s’abîmer plus que jamais sur son nombril, pour mieux oublier l’affaire Polanski ? Ou, au contraire, lui ouvriront-elles des champs radieux et infinis, en lui faisant réaliser profondément, en l’intimité de son âme, dans toutes ses dimensions et conséquences, que l’infamie d’extrême-droite dont il vient de subir les foudres et les flétrissures, cette France rance indigne de la France, cette vieille démangeaison à chasser, ces fourvoiements criminels, s’abattent aussi en l’une de leurs métamorphoses, jour après jour, depuis cinq mois, dans le silence, le mépris et l’injure publique (qui n’est pas celle du peuple), sur Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï, comme il y a cinquante ans, dans la tragédie, sur leurs pauvres pères, et sur le pays tout entier ?

Réponse dimanche après-midi, sur France 2.


Alexandre Gerbi




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9 oct. 2009

Les Bougnoules du Palais Bourbon

Sixième mois de siège...



Les Bougnoules

du Palais Bourbon



par


Alexandre Gerbi
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Allez-y, venez voir ! En voilà du spectaculaire, du bien gluant, avec une belle sauce raciste en plus, aux petits oignons, telle que vous en raffolez… Mais attention, là ce sont des hectolitres de sauce qui vous attendent. Des torrents de sauce au sang…

Hum ! Rassurez-vous… Les champs d’horreur ne seront qu’en toile de fond. Au premier plan, voici seulement trois bougnoules entre deux âges, qui campent depuis cinq mois sur le trottoir de l’Assemblée nationale, et assiègent l’Etat sarkozien. Des bougnoules tels que la France n’aurait jamais dû en accueillir que quelques-uns, épars.

- Rendez-vous compte, cher ami, des mosquées un peu partout, aussi nombreuses que nos églises…
- Ne m’en parlez pas… Quant aux Nègres…

Ô Malheureux ! Qui ne voit que c’est la France qui succomba à ces ignominies !

Je ne vous parle pas de la France hexagonale de l’an 2009, avec, selon le mot du Général, ses « poussières » ultramarines, reléguées, méprisées, parfois déjà presque larguées.

Je ne vous parle pas non plus de la peau de Chagrin aux banlieues violentes ou voilées qui, certains jours, laissent redouter le pire.

Oh non !

La France dont je vous parle est celle qui a été assassinée, voici presque cinquante ans, mais qui existe encore dans le cœur de bien des Français du bas peuple, Africains compris. A fleur de peau, ou bien douloureusement enfouie…

Un vieil homme aigri

Il y aura bientôt un demi-siècle, un vieil homme aigri, traversé de certitudes démentes héritées d’un autre siècle, refusa la symbiose et le métissage qu’impliquait l’édification de la grande République franco-africaine égalitaire.

Pour sauver de la « bougnoulisation » la France blanche et catholique, virtualité pourtant incompatible avec les principes les plus fondamentaux de la République, Charles de Gaulle bascula l’Afrique subsaharienne et le Maghreb vers d’effarantes régressions, notamment au plan social et souvent, il faut bien le dire, au plan politique.

Qui ne voit que la responsabilité de ces régressions incombe à l’Etat français blanciste ? Précisons encore : et non pas au peuple français qui, dans cette affaire, fut dupé, puis manipulé, intoxiqué et enfin trahi, Africains et Algériens compris, alors qu’il avait approuvé, dans les urnes, le grand saut égalitaire de la Métropole avec son Outre-mer africain… que lui avait proposé Charles de Gaulle en 1958 !

C’est qu’assoiffé de pouvoir, de Gaulle mentait : il prêchait la fraternité, seule ligne possible devant le peuple et les Institutions, pour mieux la détruire.

D’ailleurs, une fois le grand largage achevé, en 1962, le Général-Président ne remit plus jamais les pieds dans cette Afrique dont il avait eu tant de mal à débarrasser la France…



Imposture gigantesque et chorus mondial

Et le monde entier applaudit (Washington, Moscou, Pékin, Le Caire, l’ONU…) tandis qu’une rhétorique bien rôdée s’employa à disqualifier les partisans de l’unité franco-africaine. Ceux-ci furent désignés, au mieux, selon le mot de de Gaulle, comme des « cervelles de colibris » (qu’ils s’appelassent Jacques Soustelle ou Claude Lévi-Strauss…), au pire comme des « fascistes », sous prétexte que des fascistes, en effet, formaient une aile de l’OAS, et peuplaient certains rangs de l’Algérie française et des partisans du maintien de l’unité franco-africaine. Comme si la réaction était tout ce camp, et n’était que dans ce camp, et n’était que de ce camp… Ainsi le ménage et le silence se firent…

C’est énorme, et pourtant l’entourloupe fonctionne, depuis bientôt un demi-siècle…

Alors qu’on fêtera en 2010 le cinquantenaire des indépendances africaines – année que Nicolas Sarkozy a voulue « Année de l’Afrique en France » – l’édifice est fissuré de toute part. En haut lieu, plus personne n’ignore ni ne conteste sérieusement l’évidence de l’imposture, gigantesque. En Afrique non plus. Sans doute beaucoup la déploreraient publiquement, si de tels aveux n’étaient pas, à tout point de vue, terribles…

Au milieu de pareil marigot, évidemment, les Harkis gênent : ils demandent que l’Etat français reconnaisse officiellement ses éminentes responsabilités dans la tragédie des Harkis, des massacres aux camps. Or ce drame s’inscrit dans l’incommensurable scandale de la décolonisation franco-africaine. Mieux : il en est une sorte de quintessence…

Les vertiges de Tristes Tropiques

Parler des trois assiégeurs du Palais Bourbon, Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk, Hamid Gouraï, c’est mettre en lumière la face obscure du général de Gaulle, le de Gaulle hanté par la « bougnoulisation » de la France.

Sous cet angle, c’est bientôt envisager l’Affaire gabonaise (octobre 1958, refus de départementalisation du Gabon, article 76 violé) et la Loi 60-525 (mai-juin 1960, suppression du droit des populations d’Afrique subsaharienne à l’autodétermination sur la question de l’indépendance, par violation d’au moins quatre articles fondamentaux de la Constitution).

Parler de Zohra, d’Abdallah, de Hamid, c’est parler de la trahison du rêve de Claude Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques, et de l’holocauste des Harkis et des Algériens francophiles sur l’autel de cette destruction.

Quels vertiges éprouveront ceux qui réaliseront que Tristes Tropiques fut publié en 1955, c’est-à-dire l’année même où Pierre Mendès France nomma le grand gaulliste de gauche Jacques Soustelle gouverneur général d’Algérie ? En phase avec son collègue et ami anthropologue, Soustelle posa les jalons de l’Intégration, projet qu’en 1958, de Gaulle proclama vouloir conduire à son terme.

Le Général justifia par ce programme révolutionnaire, l’Intégration, un coup d’Etat militaire contre le « système » de la IVe République. Ce programme, les Français l’approuvèrent dans les urnes à 80%. Or devenu, grâce à cette promesse, le maître des opérations, de Gaulle fit volte-face, et dépeça méthodiquement l’ensemble franco-africain, achevant sa besogne par la liquidation de la question algérienne, dans le sang des défenseurs de l’unité franco-africaine.

Entre-temps, Jacques Soustelle, désormais son adversaire déclaré et acharné, « cervelle de colibri » devenue « fasciste », fut rayé de la carte. Et Claude Lévi-Strauss, comme tant d’autres, s’abstint de trop ruer dans les brancards…

Chef d’orchestre et illusion d’optique

Délestée de l’Afrique devenue une « néocolonie » géante, la France des années 1960 décolla économiquement, en toute quiétude. Quant à Charles de Gaulle, il put parcourir le monde en incarnation hégélienne de l’Esprit de son temps. Et pour cause : l’Esprit en question était celui fabriqué par les Etats-Unis et l’URSS, qui depuis des lustres allaient clamant – d’ailleurs fort hypocritement – que l’indépendance était sublimité mère de liberté. Ayant joué leur partition à merveille, de Gaulle put dès lors triompher tel un chef d’orchestre. Et la France avec lui, par effet d’optique. La gloire comme rançon et cache-sexe de l’automutilation confinant, à terme, à l’auto-anéantissement…

Avec cinquante ans de recul, le résultat est sous nos yeux, édifiant : l’Afrique et la France diversement abîmées, pour ne rien dire du reste de la planète...

Il faut le reconnaître, le scandale est tellement gigantesque, ses facettes à ce point multiples et ses conséquences gravissimes, qu’on peut comprendre que personne n’ose encore en parler…

Alors nous sombrerons dans le désespoir, entre soirées vodka et tarama sur toasts, œufs de saumon le dimanche (vivement !), portable dernier cri avec GPS, jusqu’à ce que quelque voix auguste ou délicieusement chuintante fasse bientôt vibrer les murs des assemblées démocratiques et des foyers de France. Pour réveiller un pays, tout un peuple avide de conquête d’idéal et de chance à saisir, de fraternité.

Doux rêve ? Au vrai, la question n’est peut-être pas de savoir si cela va arriver, mais s’il est encore temps…





Alexandre Gerbi




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