Frédéric Mitterrand et les Harkis
Frédéric Mitterrand
et les Harkis
Alexandre Gerbi
Demain, dimanche 11 octobre 2009, dans l’émission Vivement Dimanche de Michel Drucker, sur France 2, Frédéric Mitterrand devrait parler de Zohra Benguerrah, d’Abdallah Krouk et de Hamid Gouraï, les trois assiégeurs du Palais Bourbon.
Ces trois-là qui, depuis plus de cinq mois, vivent jour et nuit sur le trottoir de l’Assemblée nationale, place Edouard Herriot, à Paris, dans le mépris quasi-total des médias de la Ve République blanciste.
Chaque jour, ils déploient patiemment d’immenses banderoles sous les yeux des députés qui les ignorent et beaucoup plus rarement les insultent, parfois les menacent.
En butte aux persécutions de la Préfecture de Police – selon eux, intimidations, provocations physiques de l’Inspecteur général lui-même –, ils ont noué les meilleurs rapports avec le voisinage. Renseignements généraux et gendarmes préposés à la garde de l’Assemblée nationale leur témoignent une cordialité mêlée de respect. Une humanité poignante, quand on sait l’ampleur du drame qui se joue derrière ces mots, ces attitudes et ces regards.
Frédéric Mitterrand passait par là
Un soir, au début de leur siège, alors qu’il n’était pas encore ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand était passé près d’eux pendant leur repas, les avait salués, et avait parlé avec eux.
Zohra, Abdallah et Hamid, délicieux tels qu’en eux-mêmes par delà l’âpreté et la férocité de leur lutte, lui avaient expliqué leur présence ici, la mémoire de leurs pères et de tous les Harkis assassinés ou brisés, la tragédie de leur histoire, leur martyre républicain, sorte d’ode à une France qui peut-être n’est plus, mais qu’ils aiment encore.
Après ce jour, de loin en loin, Frédéric Mitterrand les salua quand il passait sur la place.
Pendant tous ces mois, Zohra, Abdallah et Hamid continuèrent à vivre sur le trottoir, subissant comme autant de flétrissures l’autisme de l’Elysée, le mépris des députés (j’ai vu de petites vedettes de gauche passer le front bas, l’attaché-case à la main), l’interdiction, un beau matin, pour Abdallah de planter sa tente – avec cette question : où dormir ? Et cette réponse : sur le banc. Après tout, c’était l’été.
« Salut les blancistes ! »
Le silence assourdissant des médias français autour de cet événement est, à lui seul, éloquent.
Comment ne rien dire, ou presque, d’une action alliant puissance symbolique et performance extrême – sixième mois de vie sur le trottoir, sur le flanc de l’Assemblée nationale, sous l’œil vitreux des députés…
Soyons clair : hormis la Septième Tribune – petit journal du 7e arrondissement de Paris, où a lieu l’événement –, Rue89 et Mediapart, sites français, Camer, IciCemac et Afrik, sites africains, ces cinq derniers titres par les soins de votre serviteur, enfin bien sûr les sites Harkis, et, last but not least, Radio Courtoisie (dans un éternel remake du « Baiser de l’araignée »), aucun média n’a jamais soufflé mot de cette affaire.
France Télévision, Radio France, TF1, RTL, Europe 1, l’Express, le Nouvel Obs, le Point, le Monde, etc. Motus et bouche cousue… « Salut les blancistes ! », comme dirait Ardisson…
Ce très suspect black out politico-médiatique, Frédéric Mitterrand, devenu depuis ministre de la Culture, ne s’est d’ailleurs pas privé de s’en étonner, la dernière fois qu’il a rendu visite à nos trois héros…
Le beau gosse et le vaillant député
Héros, pour des raisons historiques et politiques évidentes, mais aussi parce que 80% des Français sont favorables aux Harkis et à leur cause. Vous avez dit « fracture » entre, d’un côté, le peuple, et de l’autre, ses élites politiques et le petit monde médiatico-intellectuel qu’elles engendrent ? Ma foi, vous venez de définir là le principe même de la Ve République blanciste…
Mais revenons à notre Mitterrand…
Et v’là t’y pas donc que le Mitte-Mitte il se pointe comme ça, un samedi, et qu’il interroge nos trois amis, et qu’il se pâme sur le lamentable silence des médias, et même qu’il débarque avec France 2 et sa caméra tiens, vu qu’il va bientôt passer chez Drucker et Coffe et tout. Et même qu’il va tout déballer, faire péter les Harkis si tu vois ce que je veux dire. Ok j’en rajoute. Euh…
Bref, le beau gosse (j’ai pas dit le gosse) était presque aussi convainquant que le vaillant chevalier, pardon, député Lassalle (MoDem) quinze jour plus tôt. Vous voyez, celui qui chantait le bel canto basque dans l’hémicycle et faisait aussi une grève de la faim pour des histoires de montagnes. Celui-là aussi avait estimé inacceptable cette situation de nos camarades, qui durait déjà depuis quatre mois… Sur sa lancée, il avait promis de prendre à partie l’Assemblée. Et puis le temps que les procédures suivent leur cours, que voulez-vous, un mois est passé, et on attend toujours… Le problème, c’est que l’hiver approche, même si l’automne est étrangement clément, et que la main d’Abdallah cicatrise plutôt bien (brûlure au 3e degré, accident de café/réchaud)…
Mitterrand, quant à lui, tiendra-t-il parole, à la bonne heure ?
Si oui, qu’on se le dise, l’événement devrait changer le cours de l’histoire de France, le cours de l’histoire de l’Afrique, et partant, le cours de l’histoire du monde…
Pour peu, évidemment (ne croyez pas qu’on change l’histoire comme ça), que l’occasion soit saisie par quelque haute figure politique pour expliquer solennellement ce qui s’est passé il y a cinquante ans, le largage de l’Afrique pour éviter la « bougnoulisation » et déployer du même coup le néocolonialisme, que l’égalité eût conjuré, en même temps qu’elle aurait transfiguré la France, pardon, la grande République franco-africaine.
Dans ce rôle, on ne voit que Sarkozy, le PS étant en état de mort clinique.
Abjections de l’orfèvre
Or entre-temps, coup de théâtre.
La semaine même où Mitterrand doit passer le dimanche chez Drucker, voici que, le lundi, profitant d’une émission à très large audience, Marine Le Pen chie sur lui, au gré d’une de ces calomnies abjectes dont le Front National, entre autres ignominies, est un fameux orfèvre. C’est bien, Marine, tu marches sur les traces dérisoires de ton père, ceux qui espéraient en toi en prennent pour leur grade…
Ces misérables scories pousseront-elles Frédéric, dans les coussins écarlates de Michel, à s’abîmer plus que jamais sur son nombril, pour mieux oublier l’affaire Polanski ? Ou, au contraire, lui ouvriront-elles des champs radieux et infinis, en lui faisant réaliser profondément, en l’intimité de son âme, dans toutes ses dimensions et conséquences, que l’infamie d’extrême-droite dont il vient de subir les foudres et les flétrissures, cette France rance indigne de la France, cette vieille démangeaison à chasser, ces fourvoiements criminels, s’abattent aussi en l’une de leurs métamorphoses, jour après jour, depuis cinq mois, dans le silence, le mépris et l’injure publique (qui n’est pas celle du peuple), sur Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï, comme il y a cinquante ans, dans la tragédie, sur leurs pauvres pères, et sur le pays tout entier ?
Réponse dimanche après-midi, sur France 2.
Alexandre Gerbi
Libellés : afrique, algérie, de Gaulle, décolonisation, france, sarkozy
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