30 oct. 2009

Identité Nationale : Les « flous de mémoire » du gaulliste Max Gallo





Identité Nationale :


Les « flous de mémoire »

du gaulliste Max Gallo



par


Alexandre Gerbi
.



Depuis des années, Max Gallo fait un peu partout l’apologie du général de Gaulle. Télé, radio, presse écrite : l’ex-homme de gauche est devenu, au fil des années, l’un des hagiographes officiels du fondateur de la Ve République.

Or camper systématiquement Charles de Gaulle en saint républicain, cela pose quelque problème. Du moins pour qui s’est donné la peine de se pencher un peu, et surtout sans œillères, sur le cas de Gaulle.

Mais il semble que Max Gallo ne se soit pas donné cette peine. A moins qu’il préfère oublier ce qui ne cadre pas avec le mythe d’un Général exemplaire incarnant la République et la France…

Quand France Inter balance sur de Gaulle

Mardi 27 octobre 2009, dans le « 7-10 », journal du matin de France Inter, Max Gallo était invité à donner son avis au sujet du débat sur l’identité nationale que lance l’Etat sarkozyen.

L’émission prit un tour atypique lorsque le journaliste-animateur, Alain Le Gouguec, posa cette étrange question à l’historien :

« Ce matin, en préparant cette émission, je suis tombé sur le blog de Gérard Gachet, qui est porte-parole du ministère de l’Intérieur, de Michèle Alliot-Marie. Il écrivait le 1er avril 2007, en pleine campagne présidentielle, une sorte d’éditorial qu’il intitulait « Flotte petit drapeau » (…), et il citait le général de Gaulle, des propos rapportés par Alain Peyrefitte. Le général de Gaulle définissait la France comme « un pays européen, essentiellement de race blanche, de culture gréco-romaine, et de religion judéo-chrétienne ». Ça laisse pantois, quand même, de voir qu’on puisse se référer à de telles citations, qu’il faut replacer dans un contexte historique, citation sortie de la bouche d’un homme qui est un homme, peut-être, d’un autre siècle… Max Gallo ? »

Le « flou de mémoire » de Max Gallo

Manifestement embarrassé, l’historien fit mine de ne pas connaître précisément cette citation :

« Ecoutez, j’ai écrit une biographie du général de Gaulle. Cette citation, je n… je n… En tout cas, elle ne me surprend pas, puisque de Gaulle a fait d’autres citations du genre, « La France est un pays chrétien, Clovis a été baptisé ». Il y avait donc en lui un enracinement dans une tradition française, dans une partie de l’histoire française… Simplement, ce que je retiens, moi, de de Gaulle, ça n’est pas cette citation, qui est réelle, qui est exacte, enfin j’imagine, je ne l’ai pas sous les yeux, mais en tout cas, on peut… Il a fait des discours, des citations semblables… Ce que je retiens de lui, c’est le CNR, c’est Jean Moulin, c’est le choix face à une France qui est celle de Pétain, l’affirmation d’une France républicaine dans laquelle de Gaulle dit : « Je n’ai autour de moi que des Juifs lucides, quelques aristocrates et d’autres déclassés » à Londres en 1940. »

A la minute 15’08 :

http://www.dailymotion.com/video/xaxwd3_lidentite-nationale_news

Bizarre « flou de mémoire » pour un spécialiste de Charles de Gaulle, d’autant que la citation en question est bien connue. Non seulement depuis 1994, avec la publication chez Fayard de C’était de Gaulle d’Alain Peyrefitte, mais aussi depuis, au moins, 1967, puisque le grand journaliste politique JR Tournoux, dans La Tragédie du Général, chez Plon, lui prêtait des propos identiques.

Pourquoi Max Gallo fit-il semblant de ne pas avoir en tête cette citation pourtant fameuse – sans vraiment, il est vrai, oser dire clairement qu’il ne la connaissait pas…

De Gaulle dans le texte

D’abord parce que cette citation est encore plus gênante qu’il n’y paraît.

En effet, la formule est ici tronquée, et même un peu déformée. La citation exacte et plus complète dit :

« C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne se raconte pas d’histoires ! Les musulmans, vous êtes allé les voir ? Vous les avez regardés, avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! » (C’était de Gaulle, tome 1, p. 52)

L’amnésie de Max Gallo présente une autre utilité. Feindre de ne pas en avoir de souvenir précis, permet d’évacuer la date où cette citation fut prononcée. Or Peyrefitte la fixe au jour près : le 5 mars 1959.

De là, dans sa réponse à Alain Le Gouguec, Max Gallo peut, sans complexe, renvoyer au de Gaulle de 1940, alors même que cette réflexion date de… dix-neuf ans plus tard !

Somme toute, c’est un peu comme si l’historien, interrogé sur une citation du maréchal vichyste, avait répondu : « Ce que je retiens, moi, de Pétain, c’est le héros de Verdun ».

Largage anti-bougnoulisation

Pourquoi tant de faux-fuyants ?

En réalité, cette citation prend place dans un florilège de réflexions par lesquelles le Général justifia, à l’époque, son entreprise de démantèlement de l’ensemble franco-africain. Le largage de l’Outre-mer visait notamment à empêcher la « bougnoulisation » de la France qu’aurait entraînée l’octroi de l’égalité politique. D’ailleurs, de Gaulle déplora devant Peyrefitte que « nos Africains » aspiraient bien davantage à l’égalité politique et sociale qu’à l’indépendance…

Cette citation résume l’un des grands axes de la pensée du Général. Elle témoigne de convictions qui, partagées par la majorité des politiciens métropolitains de l’époque, conduisirent à l’exclusion des populations d’Algérie et d’Afrique noire, au gré d’une (re)définition très spéciale de l’identité française, habilement dissimulée sous la rhétorique du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».

La Ve République blanciste est l’héritière de cette sidérante machination, en même temps que sa cacochyme, quoique obèse, créature...

Coupables d’être Français arabo-berbères et musulmans

Max Gallo connaît ces méandres cruciaux. Pour autant, il préfère botter en touche, quitte à participer subtilement, ainsi, à une manipulation criminelle.

Manipulation criminelle, car pour mieux occulter le rêve de la fraternité franco-africaine broyée par de Gaulle entre 1958 et 1962, le régime et ses alliés ont abreuvé le bas peuple de mensonges. Ils firent et font toujours du FLN le glorieux vainqueur de la guerre de « libération » algérienne, et présentent les partisans de l’Algérie française de l’Intégration (c’est-à-dire, à l’époque, de l’égalité et de la diversité dans la République) comme des fascistes, et les Harkis comme des « collabos », traîtres au peuple algérien.

Recrue de ces simplismes délétères, en l’an 2009, dans les banlieues françaises, une grande partie de la jeunesse exècre les Harkis, maudit de plus en plus souvent la France et brandit, fort logiquement, le drapeau FLN, devenu celui de l’Algérie indépendante…

Clef de voûte du système : depuis des décennies, le Général-Président en gloire, érigé en idole infaillible, presque sacrée, lui qui bazarda les Nègres, lui qui offrit si lucidement l’Algérie au FLN et lui livra non moins lucidement les Harkis pour le supplice et pour la mort, parce qu’ils étaient coupables d’incarner l’unité franco-africaine qu’il convenait, définitivement, d’anéantir.

Parce que les Harkis étaient coupables, aussi, d’être ce qu’ils étaient : des Français arabo-berbères et musulmans... D’ailleurs, les rescapés, parvenus en France, furent enfermés dans des camps.

Un révolutionnaire aggiornamento

Max Gallo et ses pairs, intellectuels, hommes de médias ou politiques, continueront-ils encore longtemps de mentir et de contribuer, sans toujours s’en apercevoir, à la dislocation de notre cher et vieux pays ?

Puisse le débat sur l’Identité nationale, évidemment indispensable compte tenu de l’ampleur des blocages et des intérêts menacés, des compromissions stratifiées, être l’occasion d’un révolutionnaire aggiornamento, et non d’un énième crime contre la France, l’Afrique et leur mémoire commune, tellement falsifiée.

Et puissent Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï, qui assiègent le Palais Bourbon depuis six mois au nom de quarante-sept ans de martyre Harki, cesser d’être les damnés de la « terre » de la Ve République blanciste, pour devenir, comme leurs pères, des héros africains de la République française.

Pardon, de la grande Ve République égalitaire franco-africaine, qui fut assassinée il y a bientôt cinquante ans...


Alexandre Gerbi




Libellés : , , , , , , , , , , , ,