L’association
« antiraciste »
En 2008, je m'étais rendu au Salon du livre de
L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) dans
l’espoir de rencontrer Dominique
Sopo. Le président d'SOS Racisme devait y faire, ce jour-là, la promotion d’un livre sur la laïcité. M’étant approché de Dominique Sopo, je me présentai à lui comme
écrivain et membre cofondateur du Club Novation Franco-Africaine.
Tout de go, sous le regard d’un de ses adjoints, Alexandre Folly,
responsable de la section du Val-de-Marne de ladite association, je
lançai à Dominique Sopo :
« Il
y a cinquante ans,
l’indépendance a été
essentiellement imposée à l’Afrique subsaharienne par la classe
politique métropolitaine, alors que la plupart des leaders
politiques Africains réclamaient non pas l’indépendance, mais la
fin du colonialisme par l’instauration de l’égalité politique
pleine et entière. Mais parce que cette classe politique
métropolitaine refusait les conséquences d’une telle opération –
métissage et métamorphose de la France, nombreux députés
africains à l’Assemblée nationale, et, de ce fait, fin de
l’exploitation colonialiste que la démocratie réelle eût
interdite –, elle choisit d’imposer l’indépendance à
l’Afrique. Ainsi les territoires africains basculèrent dans une
indépendance dont ils ne voulaient pas. Ainsi, aussi, fut esquivée
la « bougnoulisation », selon le mot du général de
Gaulle, ou plutôt, ai-je
corrigé, la
« bamboulisation »
(mon interlocuteur et moi avons souri d’un air entendu…)
de la France, et put être poursuivie l’exploitation colonialiste
sous la forme du néocolonialisme
».
Je
m’arrêtai brusquement de parler. Dominique Sopo me considéra avec
un regard pantois. Un bref instant et il me répondit sur le ton de
l’évidence :
« Oui,
bien sûr, c’est bien ce qui s’est passé, c’est exact… Mais
c’est évident ce que vous me dites là, c’est bien connu ! »
Je
dois préciser que Dominique Sopo est, pour partie, d’origine
africaine et qu’il bénéficie, par conséquent, de certaines
lumières sur ce chapitre de l’Histoire…
J’embrayai :
« Ah
bon, Monsieur Sopo, mais si tout ceci est exact et bien connu, alors
pourquoi personne ne le sait, et surtout pourquoi personne ne le
dit ? »
Dominique
Sopo n’eut pas le temps de répondre. Il avait un avion à prendre
car il se rendait, me dit-il, à New York pour je ne sais quel sommet
à l’importance, on le devine, capitale. J’ai quand même pris
son adresse courriel. Il n’a jamais répondu à mes messages.
Pendant
que je dialoguais avec Dominique Sopo, son « adjoint »,
Alexandre Folly, président comme je l’ai dit plus haut d’une
section départementale d’SOS Racisme et manifestement, lui aussi,
d’origine africaine et, par conséquent, lui aussi parfaitement au
courant de la pertinence des thèses que je venais d’exposer, ne
perdait pas une miette de notre conversation. En présence de son
chef pas encore envolé pour New York et qui approuvait mes thèses
comme autant de truismes, Alexandre Folly, se montra fort intéressé
par l’existence de ce Club Novation France-Africaine qui affichait
de si spéciales ambitions. Il me demanda si j’étais disposé à
venir exposer ce point de vue lors de l’Université d’automne
d’SOS Racisme. Cette manifestation, m’expliqua-t-il, devait se
tenir le week-end suivant en banlieue parisienne, à Dourdan.
J’accueillis avec enthousiasme sa proposition, ajoutant que je
viendrais accompagné d’autres membres du Club Novation
Franco-Africaine.
Le
surlendemain, lundi, je téléphonai donc à ce monsieur pour
préciser les modalités de l’intervention. Un peu embarrassé, il
me répondit qu’il fallait préalablement venir au siège
d’« SOS », à Paris, afin d’exposer à « des
cadres » du
mouvement le contenu de notre intervention. J’acceptai volontiers.
Rendez-vous fut pris pour le jeudi.
Le
jeudi en question, accompagné de deux membres cofondateurs du Club
Novation Franco-Africaine, Samuel Mbajum (1) et Raphaël Tribeca (2), après avoir poireauté un bon moment dans le
hall du siège de l’association, nous fûmes finalement reçus, en
guise de « cadres », par un seul et unique jeune homme de
vingt-cinq ans, Hadrien Lenoir. Celui-ci était responsable, nous
dit-il, d’SOS Racisme pour l’Île-de-France.
Dans
son petit bureau, Hadrien Lenoir nous écouta pendant deux heures
environ, mes amis et moi-même. Tour à tour, nous lui expliquâmes
ce que fut en réalité la « décolonisation » française
en Afrique subsaharienne. Présentée comme le triomphe du « droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes », la « décolonisation »
fut en réalité une
gigantesque imposture
placée sous le signe du racisme et du mépris pour l’Afrique, mais
aussi pour le peuple français, ou plutôt franco-africain, imposture
qui consista notamment à surfer sur des mots mis au point à
Washington et à Moscou. Autrement dit, bien que systématiquement
présentée comme une défaite du capitalisme et de l’impérialisme,
la décolonisation franco-africaine, telle qu’elle eut lieu, fut en
réalité son stade suprême…
« C’est
gigantesquissime ! »,
finit par s’exclamer le jeune homme qui, comprenant manifestement
la gravité et les enjeux de notre propos, éprouvait le besoin
d’amplifier le terme dont je venais d’user. « Le
problème », lui
ai-je expliqué, « c’est
que du haut de vos vingt-cinq ans, vous raisonnez sans tabous ni
préjugés. Vous n’êtes pas enfermé dans toutes sortes de
blocages idéologiques, ces blocages qui permettent au mensonge de
tenir depuis cinquante ans, et ce contre toute raison. Vous verrez,
et pour aussi délirant que cela puisse vous paraître maintenant, il
est probable que les cadres de votre association et du parti
politique [le Parti
Socialiste] qui le
parraine, en particulier ceux qui ont plus de quarante ou cinquante
ans, vous expliqueront que, pour soutenir de telles thèses, il faut
que nous soyons plus ou moins des fascistes ou des types manipulés
par l’extrême-droite ».
« C’est
absurde… »,
souffla Hadrien Lenoir d’une voix naïve, candide et dubitative à
la fois.
« Accusation
grotesque, en effet,
rebondis-je, puisque si
fascistes il y a, c’est dans le camp d’en face qu’ils se
trouvent ! Ceux-ci ont largué l’Afrique contre sa volonté
pour des raisons « blancistes » et néocolonialistes,
ainsi que l’a d’ailleurs admis, comme une évidence, votre
président lui-même, Dominique Sopo, en présence de son adjoint,
Alexandre Folly, qui pourra vous le confirmer. Mais c’est que cette
inversion des rôles, je devrais même dire des pôles, qui fait
passer les partisans de l’unité franco-africaine pour des
« fachos » et, réciproquement, les blancistes et leurs
complices, les artisans de la séparation, pour de parfaits
républicains progressistes, démocrates et humanistes, c’est là le
grand ressort qui permet à l’imposture de tenir depuis si
longtemps. Ça neutralise tout, ça verrouille tout. Sans parler, de
nos jours, des compromissions accumulées au fil des décennies,
quelquefois en toute bonne foi, par les uns et par les autres, pas
pressés, pour cette raison, de faire leur mea
culpa et de reconnaître
qu’ils se fourvoient, pour le pire, depuis cinquante ans,
évidemment… »
Et
qu’ils servent le Système, serais-je aujourd’hui tenté
d’ajouter, avec quelques années de réflexion supplémentaires…
J’aperçus
dans le regard de notre interlocuteur, une fois encore, un étrange
reflet.
Est-il
besoin de préciser que finalement, mes amis du Club Novation
Franco-Africaine et moi-même, nous n’avons pas été invités à
intervenir dans l’université d’automne d’SOS Racisme à
Dourdan ? Faut-il ajouter que la semaine suivante, Hadrien
Lenoir me posa un lapin – je devais pourtant lui remettre
gracieusement un exemplaire de mon livre Histoire
occultée – et qu’il
n’a, par la suite, jamais répondu à mes courriels, pas plus qu’il
ne m’a rappelé, malgré mes nombreuses relances ?
Je
suppose que ce jeune homme devait être très pris par des
occupations cruciales, comme son président Dominique Sopo et tant d’autres
honorables représentants des mondes politique, médiatique et
associatif français.
Mais
comme me l’a dit un jour, plein d’humour, un Franco-Africain
connaisseur des petits milieux de la capitale française :
« À
Paris, la première chose que fait quelqu’un qui prend un peu
d’importance, c’est d’organiser son inaccessibilité… »
Notes :
(1) Samuel Mbajum est notamment l’auteur, avec le gouverneur Louis Sanmarco, de Entretiens sur les non-dits de la décolonisation, L’Officine, 2007, et plus récemment de Les combattants africains dits Tirailleurs sénégalais au secours de la France 1857-1945, Riveneuve, 2013.
(2) Avec Raphaël Tribeca, nous avons cosigné La République inversée, Affaire algérienne et démantèlement franco-africain, L'Harmattan, 2010.
Extrait de Histoire inavouable de la Ve République, de la révolution inversée au désastre contemporain, L'Harmattan, 2015.