Affaire Taubira :
Décryptage politico-historique
d’une imposture aux effets délétères
par
Alexandre Gerbi
Évidemment, il faut garder au
cœur et à l’esprit l’injure criminelle qui fut faite à l’Homme noir dans les
temps modernes : classement pseudo-scientifique dans la sous-humanité,
voire négation de l’humanité, mépris racial sur fond et au service de l’esclavage
et du colonialisme. Et du reste, je ne suis pas bien sûr que l’horreur ait, à
ce jour, cessé. Pour l’Homme en général, d'ailleurs. Car au bout de l’analyse,
alors que l’on s’apprête à commémorer le centenaire de la grande boucherie de
14-18, on conviendra que la couleur de peau importe peu devant la broyeuse de
chair humaine qu’est l’Histoire, où aux côtés des Noirs, les Blancs ont connu,
eux aussi, leur lot d’atrocités, de la part de leurs chefs ou de la part des
chefs des autres…
Ceci étant nettement posé, est-il
bien raisonnable, à partir d’une image au goût plus ou moins douteux (une photo
de bébé singe et la photo de la ministre, ainsi légendées : « A 18
mois » et « Maintenant ») mise en ligne par une candidate du FN
qui, interrogée à ce sujet, s’est défendue de tout racisme, et a été au
demeurant formellement désavouée par son parti, et d’un slogan débile se
voulant insultant (« Taubira, mange ta banane ! ») scandé par une enfant
de douze ans, d’y voir la résurrection, le triomphe, ou même la manifestation
de l’idéologie selon laquelle le Noir serait inférieur au Blanc ? Sautant
sur l'occasion, Minute, journal notoirement connu, et ce depuis des
décennies, pour ses positions infâmes et ses formules abjectes, engage-t-il la
France quand il titre cyniquement : « Maligne comme un singe, Taubira
retrouve la banane » ?
A vrai dire, ils sont bien rares,
aujourd’hui en France, ceux qui croient à l’infériorité et à la supériorité des
races. Hormis quelques illuminés ou détraqués ultra minoritaires, dans la
grande masse des Français, chacun sait que ce qui détermine l’homme, c’est son
éducation et non sa race, et ceci comme une plate évidence. Et que si montée
des antagonismes il y a dans la société française contemporaine, cette montée
n’est pas fondamentalement raciale, mais bien plus sociale, religieuse ou
civilisationnelle. Et la race, en tant que telle, n’a rien à y voir. Cela, tout
le monde, à de rares « cas » près, le sait aussi, clair comme de
l’eau de roche, comme on dit en France.
Ce qui, au passage, peut
expliquer pourquoi personne n’a songé, dans un premier temps, à voler au
secours de Christiane Taubira. L’attaque, sur le fond, étant jugée dérisoire
par son absurdité et/ou sa grossièreté mêmes...
Alors, pourquoi tout ce
tintouin ?
Cette « Grande
lessive » qu'il faut taire
Il y a, bien sûr, l’explication
martelée par Eric Zemmour : comme au bon vieux temps de tonton Mitterrand,
l’antiracisme dont se tartine une certaine gauche sert de masque au
gouvernement socialiste, afin de noyer le poisson de sa politique. C’est-à-dire
de sa trahison, bruxelloise, ultralibérale et antisociale. L’Elysée espérant
ainsi redorer son blason à bon compte, comme il chercha à le faire, voilà
quelques mois, avec le mariage homo, quitte à attiser l'homophobie et à
radicaliser la droite… Et puis, toujours instrumentalisant l'antiracisme dans
l’héritage mitterrandien, du même coup dézinguer Le Pen, en l’accusant d’être
le deus ex machina du racisme de la « France moisie ».
Comme si le problème n’était pas nettement plus profond…
Car est-ce vraiment tout ?
On l’a dit, l’affaire Taubira est
une énième gesticulation, une énième feinte d’un Système qui singe en
permanence, c’est le cas de le dire, un antiracisme de comédie aux indignations
ostentatoires et sélectives, sous les ors d’une république en liquéfaction.
Mais cet antiracisme, s’il permet
de masquer des turpitudes ultracapitalistes, néocolonialistes et atlantistes,
s’il permet (du moins jusqu’à présent…) de circonvenir le phénomène Le Pen,
aide aussi, et d’abord, le régime de refouler sa vraie nature et ses origines,
éminemment honteuses.
Bien que le petit monde médiatico-politique et intellectuel français fasse mine
de n'en garder nul souvenir, la Ve République fut naguère fondée sur un grand
dessein raciste et politiquement suicidaire, travesti en triomphe de la liberté
et de la grandeur nationale. Une sombre page d’histoire qui serait frappée de
prescription, si elle n’était la cause principale de la plupart des maux qui
rongent aujourd’hui la société française. Symptomatiquement, l’idole trône plus
que jamais au panthéon du Système : Charles de Gaulle alias le Général,
fondateur de la
Ve République blanciste, jamais avoué(e) comme tel(le). Ni
à droite, ni à gauche, ni, plus singulièrement, dans le camp des boutefeux de
l’antiracisme…
Ainsi, entre autres exemples, je
ne sache pas que Christiane Taubira, personnage politique de premier plan
depuis bien des années en France, ni Harry Roselmack, journaliste de premier
plan depuis bien des années, aient jamais pris la parole avec tant d’ardeur
pour dénoncer le Charles de Gaulle des années 1958-1962, auteur du « dégagement
», du
grand largage, de la «
Grande lessive » qui permit, selon les mots du grand
homme, de soustraire la France à la « bougnoulisation » mais aussi, selon
ses hantises, à l’islamisation. Avec cinquante ans de recul, à chacun d’estimer
si le but est atteint... Quoi qu’il en soit, Christiane Taubira et Harry
Roselmack, qui tous deux connaissent parfaitement le dossier, Ultramarins rescapés
de la « Grande lessive » qu’ils sont, se taisent. Comme les autres.
Est-il besoin de gloser davantage sur pareils silences ?
Ici, avant la chute, j’invite le
lecteur amateur de mise en perspective historique et politique, à (re)lire les
discours d’Alger et de Mostaganem de Charles de Gaulle
en 1958, discours théoriquement fondateurs de la Ve République. Que chacun se
demande, surtout, pourquoi il n’a jamais entendu parler de tout cela, pas plus
que de
l’Affaire gabonaise, ni de
la Loi 60-525, pas plus que des quarante six députés
algériens que compta un jour la République. A ce sujet, j’ajoute, s’il m’est
permis, cette analyse de la « révolution de 58 » et de ses suites
dantesques, dans
La République inversée, affaire algérienne et démantèlement
franco-africain.
Avec à l’esprit cette toile de
fond jamais expliquée et toujours obstinément non-dite par ceux qui nous
gouvernent (il faut laisser le bas peuple dans l’idée que l’Outre-Mer, Afrique
en tête, a arraché l’indépendance et voulait absolument se débarrasser de la
France) mais parfaitement connue et sue des milieux autorisés (j’ai testé pour
vous, depuis au moins sept ans…), on peut comprendre combien Christiane Taubira
et Harry Roselmack, comme une bonne partie de l’intelligentsia politique et
médiatique franco-africaine, quelle que soit sa couleur de peau, travaillent au
mensonge historique qui sape les fondements de notre société, de notre pays et
de notre monde. Sans en avoir bien conscience, peut-être. Mais sans doute pas
pour le meilleur, ni au service de qui que ce soit, Noir ou Blanc, Français ou
Africain. Et surtout Homme avant tout…
Alexandre Gerbi