10 déc. 2018

Gilets Jaunes : Depuis De Gaulle jusqu’à Macron, les beaux discours, le jeu de la CIA et la réalité de la trahison



Gilets Jaunes : 

Depuis De Gaulle jusqu’à Macron, 

les beaux discours, le jeu de la CIA 

et la réalité de la trahison


par

Alexandre Gerbi 



Après dix jours de silence assourdissant, on nous l'annonce sans nous l'assurer : Emmanuel Macron devrait parler (enfin...) le 10 décembre. Espérons pour lui, et surtout pour le pays, que ce discours présidentiel ne sera pas une énième provocation, consistant en "paroles verbales" (subodorons : "nouveau contrat social", "répartition plus juste des richesses", "solidarité avec la France des oubliés", "états généraux du dialogue") enrobées de sourires carnassiers. Une fricassée de promesses en l'air à destination des "gens de rien" supposés stupides et naïfs. Autant de manoeuvres dilatoires à caractère, une nouvelle fois, inflammatoire. Mais peut-il vraiment en être autrement ?
Depuis le début de la crise, beaucoup ont observé que le chef de l'Etat et ses ministres avaient systématiquement deux coups de retard. Las ! Le nouveau monde macronien ressemble comme deux gouttes d'eau (ou de gazole...) à l'ancien. Au début de la quatrième semaine du mouvement, il conviendrait donc que Macron se mette au diapason des revendications des "séditieux", lesquelles ne se limitent plus, loin s'en faut, à l'annulation de la taxe sur les carburants et autres arnaques fiscales déguisées en bienveillance d'Etat.
Mais les vieilles ficelles sont difficiles à rompre. Voici que les porte-parole du gouvernement nous expliquent, au lendemain de l'Acte 4 de la révolte, que la démocratie et la République sont mises en péril par le mouvement des Gilets Jaunes. Admirable inversion des rôles ! Car c'est précisément parce que la démocratie et la République sont bafouées depuis trop longtemps, et de façon trop grave, par ceux-là même qui s'en réclament et dont Macron est le dernier caricatural avatar, que les Gilets Jaunes, c'est-à-dire le peuple, se sont soulevés pour défendre cette même démocratie et cette même République. Autrement dit, malgré l'échec de sa rhétorique depuis trois semaines (et bien davantage...), le gouvernement continue de vouloir "la faire à l'envers" au pays, en se posant comme le rempart des principes hérités de 1789. Il fallait oser...
Aux sources de la trahison
Mais le temps n'est plus aux balivernes. Le mouvement des Gilets Jaunes vient de loin, et répond fondamentalement à une double problématique : le mensonge et la trahison de la France, de la République et de la démocratie. Précisons : trahison par les élites politiques et leurs relais notamment médiatiques, syndicaux et intellectuels.
Il faudrait de longues pages pour expliquer dans tous les détails comment la logique du mensonge et de la trahison remontent aux origines de la Ve République, sous la houlette de Charles de Gaulle. Auteur d'un coup d'Etat (mai-juin 1958) puis élu pour accomplir une révolution égalitaire, politique et sociale, avec l'Outre-Mer (Algérie et Afrique noire), De Gaulle était appuyé et soutenu en sous-main par les Etats-Unis et leurs services secrets. A l'époque, en France comme dans d'autres pays d'Europe, la CIA et le Département d'Etat des frères Allen et John Foster Dulles arrosaient copieusement de leurs dollars, depuis la fin de la guerre 1939-1945, les milieux politiques (y compris la SFIO et les trotskistes lambertistes) et syndicaux (en particulier FO). Les réseaux qui en résultaient furent activés en 1958 pour permettre à De Gaulle de s'emparer du pouvoir, sous prétexte de contrer le péril communiste, en réalité parce que les projets du Général, quoique secrets, étaient connus de Washington, dûment informé par l'intéressé. La future volte-face gaullienne, qui se solda par le largage de l'Afrique noire puis de l'Algérie, ne faisait aucun mystère pour ses parrains états-uniens dès avant le retour au pouvoir de l'ermite de Colombey. C'est pour cette raison que les Etats-Unis apportèrent leur soutien à De Gaulle malgré sa ligne officielle prônant alors l'unité franco-africaine qu'ils avaient en horreur. Cette ligne, aimablement déclinée par le Général d'Alger à Mostaganem en juin 1958, était destinée à amadouer l'armée et à séduire les "veaux" pieds-noirs et arabo-berbères pro-francais alors nombreux en Algérie. Même si les historiographes officiels, depuis un demi-siècle, s'emploient à convaincre lesdits "veaux" du contraire...
Il en résulta, une fois le largage de l'Outre-Mer accompli, après l'illusion des années 60 destinées à faire passer la pilule dans la société de consommation et le rock'n roll, une lente descente aux enfers de la France, rythmée par les chocs pétroliers à partir du début des années 1970.
Depuis une vingtaine d'années, le phénomène de la relégation a pris un tour dramatique, et tourne aujourd'hui à l'effondrement.
Les ingrédients sont, au fond, les mêmes qu'entre 1958 et 1962 : mensonge et trahison, à grand renfort d'intoxication médiatique et de collusions des partis politiques prétendument rivaux mais en réalité complices, sur fond de réseaux états-uniens.
Ainsi, depuis que la France a eu l'outrecuidance de s'opposer aux Etats-Unis dans leur entreprise de déstabilisation du Proche-Orient (guerre d'Irak, 2003), le nécessaire a été fait pour que seuls des membres de l'amicale franco-états-unienne accèdent aux plus hautes responsabilités à Paris. Dans ce cadre, la French American Foundation (FAF) et ses "Young Leaders" jouent un rôle majeur.
La trop méconnue FAF, créée par Giscard d'Estaing et Gerald Ford en 1976, est liée à la CIA. Recrutant dans les milieux de pouvoir, c'est-à-dire dans les sphères politique, économique et médiatique, la FAF incorpore un nombre restreint de nouveaux membres chaque année : une dizaine seulement.
Bien que très rares, les Young Leaders, bénéficiant de solides appuis, "trustent" désormais une grande partie des postes politiques de premier plan. Sarkozy, quoique très ami des Etats-Unis, n'en était pas un, mais son ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, l'était. Son successeur, en revanche, Hollande en était un (promotion 1996), comme une bonne partie de son gouvernement, de la très conformiste Najat Vallaud-Belkacem au boutefeu Arnaud Montebourg en passant par Marisol Touraine ou Pierre Moscovici (qui sévit maintenant à Bruxelles où il représente la France en tant que Commissaire européen...), cette liste n'étant pas exhaustive. Le successeur de Hollande, Macron, Young Leader lui-même, a fait encore mieux : son Premier ministre, Edouard Philippe, l'est aussi. Et qui pourrait succéder à Macron en cas de chute ? Wauquiez ? Young Leader. Pécresse, Kosciusko-Morizet ? Young Leaders encore. Dupont-Aignan ? Young Leader toujours. Même si ce dernier s'affirme repenti...
En attendant, c'est bien aussi cela que les Gilets Jaunes incarnent : le rejet de cette trahison permanente des intérêts supérieurs de la France au profit d'intérêts étrangers, par un savant jeu de réseaux d'influence quadrillant le Tout-Paris politico-médiatico-économique. Avec son corollaire : le bradage, jusqu'à ce que mort s'ensuive, des intérêts nationaux. Depuis les entreprises stratégiques (pour s'en tenir à un seul exemple, voir notamment l'emblématique et ténébreuse affaire Alstom, dans laquelle Macron a joué un jeu plus que trouble et à laquelle LCP a consacré un remarquable et sidérant documentaire) jusqu'à la vente, dans des conditions éminemment douteuses, des bijoux du patrimoine (notamment le sompteux palais Clam-Gallas de Vienne en Autriche, vendu sous Hollande au Qatar sans appel d'offre, au mépris de la loi, ou encore les collections d'art africain dont Macron s'apprête à faire cadeau au Bénin), rien ne semble devoir émouvoir ni arrêter les dirigeants prétendument français dans leur folie liquidatrice.
En réalité, le sort tragique fait par le Système au petit peuple de France, livré à la misère, va de pair avec la dilapidation implacable des trésors nationaux, qu'ils soient artistiques, architecturaux ou industriels. C'est aussi contre cet esprit de trahison, entre incurie et absence totale de patriotisme, que la révolte des Gilets Jaunes prend position.
Difficile d'imaginer que Macron, homme du Système par excellence, saura trouver autre chose que des mots creux pour y mettre un terme. Jusqu'à la chute finale.

Alexandre Gerbi