26 mars 2012

L'imposture Stora ou La plateforme mensongère du Cinquantenaire de l'indépendance algérienne

plus c'est gros, mieux ça passe...



L'imposture Stora

ou

La plateforme mensongère

du Cinquantenaire

de l'indépendance algérienne



par
.
Alexandre Gerbi




Tandis que le pays, miné par ses mensonges postcoloniaux, n’en finit pas de s’effondrer et de se fragmenter, France 2 a diffusé La Déchirure, dimanche 11 mars 2012, à 20h45. Ce documentaire sur la guerre d’Algérie, signé Benjamin Stora et Gabriel Le Bomin, au-delà des nobles déclarations d’intention de ses auteurs, relève d’une énième, grossière et très pernicieuse manipulation à destination des masses. Explication.



Faut-il vraiment s’étonner qu’en l’an 2012, un documentaire sur la guerre d’Algérie, diffusé en prime time sur la première chaîne du service public, France 2, et annoncé à grand renfort de publicité, soit un habile travail de mensonge ? Les téléspectateurs ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, qui ont largement boudé le programme…

Faut-il davantage s’émouvoir, connaissant les ressorts classiques de la propagande, de l’audace des auteurs, Benjamin Stora et Gabriel Le Bomin, qui prétendent avoir cherché à approcher au plus près la Vérité ? Dans une interview donnée à l’hebdomadaire L’Express, Gabriel Le Bomin déclare : « Nous avions la volonté de raconter la mémoire de tous, de n'oublier aucun des acteurs de cette tragédie. Nous ne voulions rien occulter (…) ». Et d’expliquer : « Pour moi, il aurait été inconcevable de faire ce film sans la collaboration de Benjamin Stora. Il n'était pas question de se contenter d'empiler les mémoires, d'empiler les douleurs. Il fallait quelqu'un qui puisse prendre de la hauteur pour expliquer la complexité, l'enchaînement de ces huit années de guerre. J'ai essayé de comprendre son point de vue et je me suis reconnu dans sa volonté d'apaiser les mémoires. »

Or ce documentaire occulte – délibérément – nombre d’aspects fondamentaux de la guerre d’Algérie. Loin de « prendre de la hauteur », il livre une énième déclinaison de l’histoire fallacieuse commune à l’Etat français, à sa créature l’Etat algérien, ainsi qu’à la doxa planétaire qui prévaut depuis la guerre froide. Pour ainsi dire rien de nouveau, donc, dans ce travail sommaire, partiel et partial, qui recycle à l’envi les procédés qui permettent, depuis un demi-siècle, de travestir aux yeux du grand public l’histoire des « indépendances », en particulier celle de l’Algérie.

Je dis aux yeux du grand public car dans les hautes sphères du pouvoir, c’est-à-dire parmi les élites politiques, médiatiques et intellectuelles, tous les acteurs renseignés sur le sujet savent pertinemment que l’histoire officielle, telle que B. Stora et G. Le Bomin l’ont déployée en bande colorisée sur l’écran de France Télévision, est une diversion destinée à enfouir l’inavouable, l’insupportable, l’écrasante réalité du largage de l’Afrique (en tout cas de ses populations…) par la France, en particulier celui de l’Algérie.

De facto, La Déchirure tait totalement que le dégagement fut décidé par l’Etat français, et en grande partie accompli par Charles de Gaulle, pour plusieurs raisons conjuguées :

- Politique : esquiver l’égalité politique revendiquée par les Africains, en particulier les Algériens, qui ne supportaient plus d’être considérés comme des citoyens de seconde zone. Esquiver, aussi, le corollaire de cette égalité, à savoir l’arrivée de centaines de députés Africains au Parlement, mais aussi de nombreux ministres africains au gouvernement, voire un Africain au sommet de l’Etat. Avec, à la clef, l’abolition du colonialisme ou, si l’on préfère, l’impossibilité d’exploiter sans entraves l’Afrique et les Africains…

- Civilisationnelle : esquiver le métissage de la France, auquel l’unité franco-africaine maintenue aurait conduit. Autrement dit, esquiver l’avènement d’une grande République franco-africaine ou afro-française, égalitaire, fraternelle et sociale, par-delà les races et les religions… En somme, avec de Gaulle, la République française (ou plutôt franco-africaine ou afro-française…) refusa de devenir un géant politique et civilisationnelle, une sorte de Brésil intercontinental, en plus grandiose…

- Sociale : esquiver, par des indépendances fictives, la redistribution des richesses aux populations d’Afrique, redistribution qu’implique l’Etat républicain et démocratique à travers les infrastructures diverses, l’école publique et gratuite, la sécurité sociale, les allocations familiales, etc.

- Economique : En sortant les territoires d’Afrique du cadre protecteur démocratique et républicain, rendre possible la relance du colonialisme par le néocolonialisme, ce que d’aucuns surnommèrent ultérieurement la « Françafrique » (ou « France-à-fric »). En effet, comme je l’ai montré dans Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine (Ed. L’Harmattan, 2006), du point de vue de l’Etat français, le projet néocolonialiste était contenu dans l’idée même de « décolonisation ». En ce sens, loin de marquer la fin du colonialisme, les « indépendances » (fictives, puisque les anciens territoires africains de la France continuèrent d’être téléguidés depuis l’Elysée) en furent le tremplin, conçu comme tel mais, bien entendu, présenté comme le moyen de toutes les libérations. La suite démontra évidemment le contraire…

Force est de constater que ces quatre axes fondamentaux de la prétendue décolonisation, qui sous-tendirent également au premier chef la question algérienne, sont totalement occultés dans le documentaire de Benjamin Stora et de Gabriel Le Bomin.

Les enjeux politiques, les considérations économiques et sociales (pourtant bien connues des historiens, et depuis longtemps, sous le nom de « cartiérisme » ou « complexe hollandais »), et les inquiétudes, voire les terreurs civilisationnelles – crainte que la France, selon le mot d’Edouard Herriot, devienne « la colonie de ses colonies », ou qu’elle soit, selon l’expression du général de Gaulle, « bougnoulisée », crainte que son village finisse par s’appeler, selon lui encore, « Colombey-les-Deux-Mosquées », crainte de voir des centaines de députés arabo-berbères (et nègres…) au Palais-Bourbon et, un jour prochain, toujours selon de Gaulle, « un président Arabe à l’Elysée » – sont entièrement passées sous silence par le film de B. Stora et G. Le Bomin. Et pour cause : la thèse centrale de La Déchirure est celle, éculée, d’une « marche vers l’indépendance » inéluctable car inscrite dans « le sens de l’Histoire », fruit de la volonté farouche du peuple algérien (et, au-delà, africain) de se séparer de la France. Cette thèse essentiellement fausse, comme je l’ai montré avec Raphaël Tribeca dans La République inversée, Affaire algérienne et démantèlement franco-africain (Ed. L’Harmattan, 2010) après Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine (Ed. L’Harmattan, 2006), fait fi d’au moins trente années de recherche historique en France comme à l’étranger.

Avec Benjamin Stora, c’est un peu comme si l’historiographie s’était arrêtée à la fin des années 1970. La Déchirure semble tout ignorer des révélations d’Alain Peyrefitte dans C’était de Gaulle (Ed. Fayard, 1994), révélations qui, du reste, n’en étaient pas, puisque JR Tournoux, dans la très méconnue Tragédie du Général (Ed. Plon, 1967), et le gouverneur Louis Sanmarco, dans l’encore plus méconnu Colonisateur colonisé (Ed. ABC, 1982), avaient déjà dit l’essentiel sur la question… Les récents travaux, pourtant retentissants, de l’historien américain Todd Shepard (1962 : Comment l'indépendance algérienne a transformé la France, Ed. Payot, 2008), semblent également passer à des années-lumière au-dessus de la tête de Benjamin Stora et de Gabriel Le Bomin…

Outre ces oblitérations majuscules, le documentaire de B. Stora et G. Le Bomin pèche par une carence méthodologique fondamentale qui constitue, il est vrai, l’un des stratagèmes classiques du maquillage historiographique de l’affaire algérienne.

En effet, alors que la problématique de la guerre d’Algérie s’inscrit à l’évidence dans le cadre général de la décolonisation franco-africaine, il n’est pas anodin qu’elle soit toujours traitée isolément. Pour ainsi dire, jamais n’est procédé à une mise en perspective, à une articulation avec la décolonisation de l’Afrique noire, qu’une méthodologie élémentaire devrait pourtant imposer. Jamais la trajectoire politique de Charles de Gaulle entre 1958 et 1962 n’est étudiée au regard des menées, concomitantes, du même Charles de Gaulle sur le chapitre subsaharien. Carence guère surprenante, puisqu’à l’aune de l’affaire gabonaise (refus, par l’Etat français, en violation de l’article 76 de la Constitution, de la départementalisation demandée par le Conseil de gouvernement gabonais en 1958), de l’affaire guinéenne et des modalités, imposées par de Gaulle et dénoncées notamment par Sékou Touré et Barthélémy Boganda, du référendum sur la Communauté française (1958), ou encore de la Loi 60-525 (1960) et de ses suites (voir notre article intitulé L’effarante Loi 60-525), le mythe d’un de Gaulle qui aurait rêvé de maintenir l’unité franco-africaine et subi à son corps défendant la marche des peuples vers l’indépendance s’écroule : bien au contraire, le Général se révèle un âpre calculateur décidé à se débarrasser à tout prix de l’Afrique (ou plutôt de ses populations…) en imposant, au besoin, la sécession aux territoires subsahariens. Ce dont l’homme ne faisait d’ailleurs pas mystère dans ses Mémoires d’espoir : « En reprenant la direction de la France, j’étais résolu à la dégager des astreintes, désormais sans contrepartie, que lui imposait son empire ».

Evidemment, dans ces écrits majestueux, Charles de Gaulle n’avoue rien des considérations civilisationnelles et raciales qui présidèrent à ses choix. Plutôt que de s’étendre sur les élucubrations sulfureuses qui le guidèrent dans son entreprise de « dégagement » de l’Afrique, le fondateur de la Ve République préfère invoquer l’argent (les « astreintes »). Les considérations financières ne présentent pourtant qu’un aspect de l’affaire – aspect d’ailleurs contestable, comme le soulignaient les leaders africains de l’époque, au regard, par exemple, de l’immensité des ressources du sous-sol africain, mais aussi de l’immense richesse humaine africaine. Encore eût-il fallu, il est vrai, ne point considérer les Africains comme d’irrécupérables incapables, comme l’a très bien rappelé Jean-Paul Guerlain…

Enfin, s’il était question, comme le prétend G. Le Bomin, de « prendre de la hauteur pour expliquer la complexité, l'enchaînement de ces huit années de guerre », on est en droit de s’étonner que le documentaire s’abstienne, dans le droit fil de l’historiographie classique, de soulever cette question brûlante et essentielle :

Pourquoi les gouvernements successifs de la IVe République, confrontés à partir de 1954 en Algérie à une rébellion armée, se lancèrent-ils dans une guerre qui se révéla particulièrement cruelle et barbare, mais aussi extrêmement onéreuse, sans jamais chercher à attaquer le mal à la racine, c’est-à-dire en accordant simplement l’égalité politique aux populations arabo-berbères ? Pourquoi, pendant trois ans et demi (automne 1954-printemps 1958), alors que l’inégalité politique et les mépris qu’elle impliquait étaient la cause fondamentale du soulèvement d’une fraction croissante des populations autochtones d’Algérie, la IVe République préféra-t-elle la répression (dès lors, vouée à l’échec…) à une réforme égalitaire qui eût privé les indépendantistes de leur principal argument ? Pourquoi fallut-il d’innombrables morts et mutilés dans les deux camps, l’envoi du contingent (jusqu’à 400.000 hommes) et de millions de tonnes d’armement, pourquoi fallut-il enfin un coup d’Etat militaire et le renversement du régime par la force, pour que le gouvernement français s’avise enfin d’accorder l’égalité aux populations arabo-berbères d’Algérie, alors même que cette égalité était proclamée par la Constitution (se reporter, à ce sujet, au préambule de la Constitution de la IVe République ainsi qu’au très retors article 80) et inscrite dans les principes républicains (Liberté, Egalité, Fraternité), et que son refus était, sur cette terre déclarée département français, la cause fondamentale de la guerre ?

Autant d’interrogations centrales et fondamentales que le documentaire de B. Stora et G. Le Bomin ne soulèvent à aucun moment ni d’aucune manière, se bornant à constater cette inégalité, sans plus de commentaire ni d’interrogations…

En réalité, tout indique qu’en préparation de cette année 2012, Cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, les autorités françaises et les autorités algériennes se sont mises d’accord pour désamorcer la bombe historiographique qui risquait de leur exploser au visage. De toute évidence, l’Etat gaullien français et sa créature, l’Etat FLN algérien, se sont accordés sur cette histoire habilement truquée dont Benjamin Stora est le grand prêtre et Gabriel Le Bomin l’enfant de chœur.

La Déchirure témoigne de ce projet, de ce modus vivendi, de cette plateforme.

Il est vrai que pour Paris et Alger, l’année 2012 peut sembler n’être qu’un mauvais moment à passer. Ensuite, une fois éteints les feux de la rampe médiatique inhérents au délicat anniversaire, la guerre d’Algérie et l’indépendance algérienne pourront tranquillement s’enfoncer dans un oubli définitif…

Pour le plus grand désastre de la France, de l’Algérie, de l’Afrique et de leurs populations. Car demeuré intact, le mensonge pourra poursuivre son travail de sape, de divisions, de haines, de ravages. La machinerie infernale continuera de nous dresser les uns contre les autres, pour mieux poursuivre la grande exploitation, à l’aide de toutes les régressions, tyrannie, misère sociale, obscurantisme politique ou religieux, abrutissements divers…

Mais l’essentiel n’est-il pas de maintenir le Système si brillamment mis en place, voilà un demi-siècle, et à grand coups de mensonges, énormes, par Charles de Gaulle, ses alliés grands et petits, ses complices, en France et en Algérie, en Afrique et, au-delà, à travers le monde ?


Alexandre Gerbi




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1 Comments:

At 7/2/13 09:36, Anonymous Anonyme said...

Et le plan de Constantine, il faut dire que ce plan était courageux en faveur des algériens et de l'égalité avec les pied noirs qui n'en voulait pas en entendre parler ? le fait que le général refusait l'empire au prix d'une seule et même nation, la France, il voulait une sorte de commonwealth à la française et alors ! il pensait que la France n'avait plus les moyens de garder l'Afrique que par la coopération ! jamais le général n'aurait apprécié la mondialisation néolibérale ! RPF membre du cercle de réfléxion gaulliste Forum Pour la France

 

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