4 oct. 2011

Les Harkis, Sarkozy, De Gaulle et les élites de la République confédérale de Françafrique

Décryptage d'un mensonge dantesque...





Les Harkis, Sarkozy,

De Gaulle et les élites

de la République confédérale

de Françafrique




par


Alexandre Gerbi






Vendredi 23 septembre, sur le plateau de la nouvelle émission de Paris Première intitulée Zemmour & Naulleau, un journaliste de Mediapart, Fabrice Arfi, déclarait que l’affaire Karachi était potentiellement
« le plus grand scandale de la Ve République ». François Bayrou, président du MODEM, lui répondit sans rire que le plus grand scandale de la Ve République, c’était peut-être, selon lui, l’affaire Tapie.

Il convient de répondre à ces deux amnésiques que les affaires Karachi et Tapie ne sont que pipi de chat (et je pèse mes mots, sans mépriser les victimes) comparé au scandale fondateur de la Ve République, dont le grand responsable fut Charles de Gaulle.

La preuve : bien que les faits remontent à bientôt d’un demi-siècle, la Ve République refuse toujours de reconnaître sa responsabilité dans l’holocauste des Harkis et des Algériens francophiles en 1962…

Responsabilité inavouable, parce que cet holocauste fut la phase finale de la plus grande imposture de l’Histoire de France et, par conséquent, du plus grand scandale, d’ailleurs fondateur, du régime actuel : le largage de l’Afrique par Charles de Gaulle, en vue de conjurer le métissage (« bougnoulisation » selon de Gaulle) de la France et de lever toute entrave au néocolonialisme, sur fond d’apartheid organisé à l’échelle intercontinentale…

Le samedi 24 septembre 2011, Zohra Benguerrah et Hamid Gouraï, fille et fils de Harkis, accompagnés d’une trentaine de marcheurs, ont achevé leur Longue Marche à travers la France. Un périple qui les a conduits, en un mois, de la préfecture de Montpellier aux portes de Paris.

Ce samedi soir-là, partis de Bourg-la-Reine en début de soirée, les marcheurs sont entrés dans Paris, comme promis, avec les flambeaux de la mémoire à la main.

Après avoir traversé les rues de la capitale en scandant « Sarkozy, menteur, De Gaulle, assassin » ou encore « Harkis, Français par le sang versé », le cortège est arrivé aux Invalides, dans la nuit.

Le lendemain, Nicolas Sarkozy présidait pour la première fois depuis son élection la cérémonie annuelle d’hommage aux Harkis. Sans juger bon d’y prononcer le moindre discours, dans une sorte d’ultime injure aux Harkis. Au même moment, les Marcheurs étaient interpellés sur la rive droite par les CRS, tandis qu’ils fonçaient vers l’Arc de Triomphe dans l’espoir de bloquer les Champs-Elysées, faute d’avoir obtenu le droit de venir assister à la cérémonie…

Pourquoi Nicolas Sarkozy continue-t-il de se parjurer et de mentir sur l’Histoire des Harkis ?

Elements de réponse…



Mea culpa : il y a un an, je croyais que de Gaulle n’en avait plus que quelque mois à passer pour le saint homme qu’il ne fut point, hélas, mais alors point du tout. Or je me suis trompé. En ce mois de septembre 2011, bien que dangereusement rongée de l’intérieur, la statue du Commandeur est toujours debout. Et Sarkozy toujours dans son costume de grand prêtre de la Ve République blanciste en ses trésors de tartufferie, sous l’icône du grand homme déifié.

Entièrement soumis au tabou des tabous, l’actuel chef de l’Etat continue donc de pipeauter, pour ne pas écorner l'image du fondateur du régime, qui mériterait pourtant bien plus que quelques égratignures.

Car en réalité, Charles de Gaulle aurait dû être condamné pour haute trahison et crime contre l’humanité. Cette idée a longtemps été soutenue par les adversaires les plus acharnés du Général, en particulier l’OAS (Organisation Armée Secrète), ce qui permit de la cataloguer absurde ou scandaleuse. Pourtant, le crime de haute trahison de Charles de Gaulle est une évidence qui s’impose à l’esprit, si on prend la peine d’examiner les faits. Mais encore faut-il se livrer à cet exercice, d’où l’utilité de l’amnésie bien utile à certains, que nous évoquions en ouverture…

Certes, il est permis de se doucher avec du rire, puisque tout ceci est, finalement, très amusant. Autant d’hypocrisie, autant de soumission, autant de mensonges, énormes, gigantesques et colossaux aux effets forcément cataclysmiques, voilà qui est bel et bien drôlatique… Le pays d’Ubu, qui n’est pas la Pologne, mérite plus que jamais ce grotesque et tubulaire saint patron…

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On ne le répètera jamais assez : aujourd’hui notoirement connu pour être un raciste de la pire espèce (hors micros, l’homme ne s’en cachait d’ailleurs pas), méprisant les « Bougnoules » à peu près autant que les « Nègres », se défiant comme du choléra des musulmans, le Charles de Gaulle qui sévit à partir de 1958 était aussi un genre de fasciste à caractère machiavélique, jouant sans restriction du mensonge et de la duplicité…

« Le Général a toujours été un ardent républicain et un démocrate scrupuleux ! » s’insurgeront quelques derniers gaullolâtres particulièrement aveugles ou eux-mêmes antidémocrates et antirépublicains. Las ! Qu’il me soit, pour ma part, permis d’en douter, et même davantage…

Scandale que de le dire. Il ne s’agit pourtant là que d’une consternante vérité.

Pour l’illustrer, je m’en tiendrai à quelques grandes lignes :

Charles de Gaulle a totalement subordonné le parlement à un Exécutif réduit, souvent, à sa seule personne, en particulier touchant à la gestion (désastreuse) de l’Affaire algérienne ; il a piétiné la Constitution à de très nombreuses reprises, sur des points fondamentaux et avec des conséquences gravissimes (voir, par exemple, l'Affaire gabonaise et la Loi 60-525, ou encore les discours d’Alger et de Mostaganem confrontés aux confidences à Peyrefitte) ; de Gaulle a ainsi, selon des voies antidémocratiques et ultraviolentes, démantelé la République en mettant au ban de la France les populations ultramarines (Afrique subsaharienne et Algérie), tout en conservant le bénéfice de l’exploitation de leurs terres, par le truchement du néocolonialisme. Tout cela pour, à la fois, préserver l’Hexagone de la « bougnoulisation » et du prétendu « boulet » économique et social subsaharien et maghrébin.

Ce vaste « largage », à la double essence racialiste et néocolonialiste travestie en mirifique « indépendance », fut accompli, répétons-le, au mépris des Institutions, des Lois, des principes républicains et de la démocratie, mais aussi de l’Histoire de France, voire de l’Histoire du monde, comme je l’ai expliqué dans Histoire occultée de la décolonisation, Imposture, refoulements et névroses (Ed. L’Harmattan, 2006).

En outre, pour mieux, à la fois, ensevelir ses mensonges et rendre ses décisions irréversibles, Charles de Gaulle n’a pas hésité à provoquer la mort de centaines de milliers de personnes. Ce fut le génocide des Algériens francophiles, en particulier des Harkis – interdits de rapatriement et livrés en tout connaissance de cause au supplice et à la mort – et les Pieds-Noirs – eux-mêmes menacés, parfois frappés de massacre, et condamnés ainsi à l’exode. Pareils violences et tragédies s’inscrivant, répétons-le, sur fond de démocratie bafouée, de principes transgressés, de manipulations, de duplicité…

Or au lieu d’être destitué et traduit en justice pour haute trahison et crime contre l’humanité, l’auteur du coup d’Etat militaire de mai-juin 1958 parvint à ses fins. Sur ce socle fondamentalement vicié car monstrueux et mensonger, il fonda un régime, le nôtre, la Ve République blanciste, qui tient debout (pour combien de temps encore ?) depuis un demi-siècle.

L’Histoire étant écrite par ses vainqueurs, celle qui nous est racontée depuis lors est donc dictée par Charles de Gaulle, ses alliés, ses successeurs et ses héritiers. Avec d’autant plus de force que le reste du monde fait caisse de résonance, rançon internationale de la trahison, évidemment…

Rien d’étonnant donc à ce que l’histoire qui nous est racontée par le Système, ses médias, ses écoles, ses universités, ses intellectuels, sa classe politique, soit fondamentalement mensongère.

Or rien de sain ne peut se construire sur le mensonge et la trahison. On aurait donc tort de s’étonner que le régime de la Ve République blanciste, moralement corrompu dès son origine, marqué du sceau de l’infamie, du crime et de la transgression, a fini par détruire le pays, après avoir dévasté ses anciens territoires d’Afrique noire et anéanti l’Algérie.

Régime criminel, régime abject, régime pourri dès l’origine, car fondé sur la destruction d’un rêve républicain, égalitaire, antiraciste, laïc et social (cf. les Discours d’Alger et de Mostaganem de Charles de Gaulle, 4 et 6 juin 1958). Ce projet républicain qu’il prétendit d’abord bâtir pour justifier son coup d’Etat, de Gaulle, une fois élu, s’employa à le détruire au profit d’un apartheid organisé à l’échelle intercontinentale. Les territoires d’Afrique demeurèrent en effet, pour l’essentiel, dans la main de l’Etat français, lui-même centralisé à l’Elysée. Réseaux Foccart et barbouzes à l’appui. Et là encore, violence, au besoin ultraviolence à la clef…

Car Charles de Gaulle était de l’ancienne école, celle des généraux de 14. Il faisait peu de cas de la vie humaine, y compris quand les morts se chiffraient par dizaines ou par centaines de milliers. Les Harkis et les Algériens francophiles en savent quelque chose. L’Algérie martyre, aussi. Sans rien dire de l’Afrique subsaharienne.

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Logiquement, cet ensemble franco-africain qui, par-delà des indépendances de façade, s’est maintenu sans le dire, se dota progressivement, ou plutôt développa des élites et une bourgeoisie communes, partageant le même catéchisme mensonger fabriqué par Charles de Gaulle, ses serviteurs et ses alliés.

Au-delà des indépendances fictives, ce vaste pays qui ne disait pas son nom, ce qu’on pourrait appeler « la République confédérale de Françafrique » ou « la Ve République blanciste » ou encore « la Ve République gaullienne blanciste », nanti de ses dominions africains, avait son gouvernement basé à Paris, précisément à l’Elysée, et ses gouverneurs africains officiellement indépendants mais en réalité vassalisés de gré ou de force. En métropole, les élections demeuraient à peu près démocratiques (sans exclusive de manipulations, via les médias ou le mode de scrutin, par exemple), tandis qu’en Afrique, l’Elysée décidait tout simplement, en dernier ressort, à la place des populations.

Ce vaste pays avait son tissu industriel, il avait sa monnaie pour ainsi dire unique (le franc CFA, portant justement le nom de la monnaie de l’Hexagone auquel il était attaché), ses capitaines d’industrie et ses amis.

Tant qu’à faire, tout ce beau monde mettait sa progéniture dans les mêmes écoles, d’abord la « mission », l’école française, puis le collège, puis le lycée français. Exclusivement entre progéniture de bourgeois africains totalement francisés, et progéniture de Français « expatriés » et le plus souvent bourgeois. Etudes supérieures dans l’Hexagone, ou en Amérique. Ainsi se développa cette bourgeoisie franco-africaine mais aussi franco-maghrébine, élite politique et économique flanquée de ses intellectuels officiels bien d’accord les uns avec les autres sur le bienfondé du divorce franco-africain. Une élite qui partage à la couleur locale près les mêmes codes, les mêmes goûts, les mêmes valeurs. Et surtout le même catéchisme historique et politique.

Adeptes du faites comme je dis et pas comme je fais, elles s’entendent comme larrons en foire, vivent le même french (or american) way of life, barbotent ensemble dans de grandes piscines de champagne et d’argent, dégustent de délicieux et capiteux cocktails, roulent dans de puissantes voitures allemandes, habitent de superbes demeures, considèrent avec le plus grand mépris le petit peuple (qu’il soit noir ou blanc), font affaire dans un français de langue maternel, ont d’ailleurs souvent la nationalité française ou, au besoin, la double nationalité…

Mais cette bourgeoisie commune à tous les Etats de ce que nous avons appelés la République confédérale de Françafrique, cette bourgeoisie franco-africaine ou françafricaine parfaitement unie jusque dans ses mœurs et ses intérêts, cette bourgeoisie françafricaine explique doctement au peuple qu’il doit être séparé, qu’il est très bien qu’il soit séparé, qu’il a toujours voulu être séparé, qu’il s’est battu pour être séparé. Même si tout cela est faux. Les Hexagonaux d’un côté, les Africains de l’autre, ces derniers de préférence balkanisés… Ainsi tout est mis en œuvre par ces bourgeoises parfaitement occidentalisées et/ou américanisées pour que leurs peuples soient les moins unis possible… Pour quelle mystérieuse raison ?

Quoi qu’il en soit, la bourgeoisie, les élites franco-africaines, qu’elles soient hexagonales, maghrébines ou subsahariennes, exaltent à qui mieux-mieux l’indépendance et les luttes de libération – alors qu’elles sont bien placées pour savoir que l’indépendance en Françafrique est une vue de l’esprit qui, si elle vaut pour le peuple qui le sent bien passer, n’est qu’une aimable fiction pour la bourgeoisie franco-africaine ou françafricaine unifiée…

Ainsi va la bourgeoisie franco-africaine ou françafricaine, de collusions symbiotiques en hypocrisie commune, de petites affaires en opulence, de travestissement de l’Histoire en destruction de leur peuple et de leur pays…

Et il faut bien reconnaître que le résultat est là : à force d’abnégation, à force de propagande et de rhétorique, les élites de la République confédérale françafricaine sont parvenues à séparer en divers morceaux le peuple françafricain. Divisé pour être mieux assujetti, exploité, neutralisé, celui-ci est dupe du baratin, tandis que meurent en silence les derniers vieux qui murmuraient que de Gaulle les avait entourloupés alors que l’unité, la fraternité franco-africaine égalitaire était la panacée.

Dans le monde numérique et amnésique, un nouveau monde surgit, débarrassé des chimères fraternelles et républicaines franco-africaines, au profit d’une mondialisation ultralibérale et ultracapitaliste, doublée d’une montée des obscurantismes politiques et religieux tous azimuts (la laïcité et les Lumières sont aussi les grandes victimes du largage gaullien et de ses étranges alliances, en particulier en Algérie…), où le social n’a qu’une très secondaire importance...

La victoire totale. Après un demi-siècle d’un système qui a eu pour effet de basculer l’Afrique dans d’effarantes régressions et chaos économiques, sociaux et politiques, et de reléguer la France au rang de puissance de deuxième et bientôt de troisième catégorie accablée de maux divers, entre effondrement économique, politique, social, moral et culturel, la porte de sortie préconisée par les élites françafricaines est toujours la même, le remède ne change pas : il faut que les différents morceaux déjà tronçonnés et rongés par leurs soins depuis cinquante ans achèvent leur séparation.

Selon une figure à l’extraordinaire audace, la formule magique qui a permis depuis des décennies de démolir et de ravager l’ensemble républicain franco-africain, continue d’être présentée aujourd’hui comme la clef de la situation dramatique qu’elle a pourtant provoqué…

« Comment tirer l’Afrique du sous-développement ? Par l’Indépendance ! En particulier à l’égard de la France ! »

Indépendance, mot toujours élégant (et, du reste, fictif) pour enrober la séparation, elle-même moyen de toutes les aubaines…

Amusant retournement des choses, sous les allures d’une continuité, et vice-versa…

Dans ce courant, évidemment, ceux qui prônent pour aujourd’hui et pour demain l’unité franco-africaine comme réponse aux ravages provoqués par la séparation qui fut imposée, répétons-le, de façon antidémocratique, antirépublicaine et anticonstitutionnelle, entre 1958 et 1962, se font traiter de… néocolonialistes ! Par ceux-là même qui se réclament de l’idéologie de la séparation qui, imposée par Charles de Gaulle au mépris de la démocratie et des principes républicains, y compris au mépris des Africains, a fait des ravages au nord comme au sud de la Méditerranée, et commande la plupart de nos maux…

En attendant, sûr de leur fait, Hamid Gouraï et Zohra Benguerrah, après avoir assiégé près de deux ans l’Assemblée nationale et le pouvoir sarkozyen, après avoir accompli leur Longue Marche des Harkis à travers la France et avoir été déclaré indésirables aux Invalides, répètent : « Nous irons jusqu’au bout ».


Alexandre Gerbi







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