20 juil. 2010

Jeu de pipeau ordinaire dans le cadre du Cinquantenaire des "indépendances" africaines

Un exemple
parmi tant d'autres...



Jeu de pipeau ordinaire

dans le cadre du Cinquantenaire

des « indépendances » africaines




par


Alexandre Gerbi

.



Comique, affligeant ou tout simplement effroyable : à chacun d’en juger… Le 15 juillet 2010, un colloque sur la décolonisation, organisé par l’ASEAF, se tenait à Paris. Ce qui s’y passa a valeur d’exemple pour la plupart des centaines de grands-messes officielles qui fleurissent cette année sur le même sujet, en France, en Afrique et ailleurs sur la planète bleue…


Ce jeudi-là, dans l’hémicycle du Conseil régional d’Ile-de-France, se tenait un colloque sur les indépendances africaines dont on célèbre cette année le Cinquantenaire. Pendant six heures, on entendit les intervenants décliner sur différents modes la thèse classique d’une indépendance obtenue de haute lutte par l’Afrique en 1960. Universitaires, ambassadeurs, étudiants soigneusement choisis pour leur faculté de penser dans les clous, ont martelé que les indépendances africaines ne furent point octroyées, mais arrachées par des peuples avides d’indépendance.

Il n’est pas anodin de constater que ces fariboles, qui permettent de masquer depuis un demi-siècle les vraies motivations des indépendances mais aussi, et surtout, de mettre l’Afrique et ses populations en coupe réglée, tiennent toujours le haut du pavé en l’an 2010. Et pour cause, les enjeux d’aujourd’hui sont les mêmes qu’hier : faire un maximum de business…

Sans surprise, Jacques Toubon et Olivier Stirn, représentants officiels de l’Etat français, avaient fait le déplacement pour parrainer cette énième mascarade. On les vit l’un et l’autre acquiescer aux propos des intervenants…

Au bout de six heures de conférence à sens unique, vint enfin le moment des questions (entre-temps, toutes les grosses légumes avaient pris la poudre d’escampette). Lorsque le micro m’arriva dans les mains, je fis en substance les remarques suivantes :

« Depuis cinquante ans, on affirme, comme vous l’avez fait aujourd’hui tout au long de ce colloque, que les indépendances furent arrachées par les Africains. Ce mensonge permet de cacher que les indépendances, dont tout le monde sait qu’elles furent essentiellement fictives, ont été en réalité imposées à l’Afrique par l’Etat français, afin d’esquiver le métissage de la France et d’organiser le néocolonialisme. A l’époque, les Africains militaient bien sûr pour l’abolition totale du colonialisme. Or pour y parvenir, l’écrasante majorité d’entre eux estimaient que la solution n’était pas l’indépendance – car le système colonialiste n’avait pas doté les territoires africains des cadres nécessaires pour assumer l’indépendance – mais l’instauration de l’égalité politique pleine et entière entre tous les citoyens dans la République. En effet, les dirigeants africains savaient que grâce à la démocratie, l’exploitation colonialiste de l’Afrique n’aurait pu perdurer. C’est d’ailleurs notamment pour cette raison que le pouvoir métropolitain leur refusa l’égalité (Affaire gabonaise, octobre 1958), les poussa vers l’indépendance fictive (tractations secrètes de Charles de Gaulle avec certains dirigeants africains, assorties de primes à l’indépendance, durant l’hiver 1959-1960) et enfin déposséda, à cette fin, les populations africaines du droit à l’autodétermination, au prix d’une quadruple violation de la Constitution (Loi 60-525, mai-juin 1960). A partir de là, le néocolonialisme put se déployer progressivement, avec l’efficacité que l’on sait. En ce sens, on peut dire que la ‘décolonisation’ fut parfaitement réussie, puisqu’elle permit d’atteindre l’un de ses principaux objectifs : l’exploitation sans entraves de l’Afrique. Aujourd’hui, en perpétuant les mensonges de la Ve République blanciste, les intervenants de ce colloque ont agi en bons petits soldats du Système qu’ils prétendent pourtant combattre. D’ailleurs, je constate que MM. Toubon et Stirn, ce matin, approuvaient tous vos propos, tandis que le Conseil régional d’Ile-de-France s’occupe de la logistique. Or si votre but est bien, comme vous le prétendez, de trouver les solutions pour sortir l’Afrique du désastre, alors pourquoi relayez-vous les mensonges qui permettent ce même désastre depuis des décennies ? Si les malheurs du continent noir vous chagrinent autant que vous l’affirmez, alors pourquoi ne dites-vous pas, enfin, la vérité ? »

La salle, composée en grande partie d’Africains, a largement applaudi ces observations. Quant aux intervenants, bien entendu, ils se sont bien gardés d’y répondre. Par la suite, lors de la deuxième séance de questions, j’eus beau lever le doigt, allez savoir pourquoi, je ne parvins plus à obtenir la parole…

Au sortir de cette amusante séance, un monsieur d’un certain âge vint me féliciter. Je lui demandai : « Vous m’avez applaudi. Pourquoi ? » Il me répondit : « Parce que ce que vous dites est la vérité que tout le monde dissimule depuis cinquante ans ». Je l’interrogeai : « Vous assistez à un colloque où l’on raconte le contraire pendant six heures d’affilée, vous savez que tout cela est faux, alors pourquoi n’êtes-vous jamais intervenu pour vous insurger ? » Il sourit et expliqua : « C’est comme ça, tout le monde ment, alors que voulez-vous, on joue le jeu, on fait comme tout le monde ». Une dame qui écoutait notre conversation lança à mon adresse, l’œil pétillant : « Monsieur, vous êtes naïf : en politique, tout le monde ment, c’est bien connu ! » Quelques minutes plus tard, une autre dame s’approche et me dit : « Je tiens à vous féliciter pour ce que vous avez dit, mais je vous donne ce conseil : méfiez-vous… » « Me méfier de quoi ? » ai-je demandé. « Je vous le dis, méfiez-vous », m’a-t-elle répondu en s’éloignant avec un grand sourire sympathique aux lèvres…

Finalement, je prends une demi-heure pour discuter avec un gars et une fille âgés d’environ vingt-cinq ans. Contrairement à mes autres interlocuteurs, ces jeunes gens sont convaincus que l’Afrique s’est soulevée pour l’indépendance. Aucun argument ne semble devoir entamer leurs tranquilles certitudes. Cinquante ans de propagande triomphent dans cette joyeuse jeunesse parfaitement dupe et sûre de son fait. Quand les vieux qui tantôt m’applaudissaient seront morts, la vérité pourra être définitivement enfouie en toute bonne conscience. Le désastre, grand amateur de mensonges, a de beaux jours devant lui…

Voilà où nous en sommes en l’an 2010. Des hommes et des femmes débitent des énormités historiques (émaillées, d’ailleurs, d’énormes erreurs) pendant des heures devant des dizaines, des centaines de personnes qui savent pertinemment qu’ils mentent mais ne bronchent pas. Par un mélange d’esprit moutonnier, de peur et, pour certains, par souci de carrière et d’argent. Car contester la doxa française et internationale présente autant de périls que la servir benoîtement peut s’avérer très lucratif. L’Afrique et la France dussent-elles en crever.

Mais après tout, les gros sous, le pouvoir et les honneurs, n’est-ce pas beaucoup plus important ?


Alexandre Gerbi




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