10 juin 2010

Qui veut la peau de la "Françafrique" ?


Après Soir 3 et Ce Soir (ou jamais !)



Qui veut la peau

de la « Françafrique » ?




par


Alexandre Gerbi

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Il y a cinquante ans, l’Afrique a été larguée par la Ve République blaciste, qui pour détruire la « République de 58 » joua de la division et surtout du ras-le-bol des leaders africains, las du mépris d'Etat.

Ce largage fut décidé, selon le mot du général de Gaulle, pour empêcher la « bougnoulisation » de la France, à savoir le métissage racial et civilisationnel, notamment religieux, de l’Hexagone. Pour permettre, aussi, la poursuite de l’exploitation des territoires d’Afrique.

A l’époque, fondamentalement, la plupart des grands leaders africains estimaient que pour anéantir le colonialisme, le meilleur moyen n’était pas l’indépendance, mais l’égalité dans une grande République franco-africaine. Quant aux populations métropolitaines et ultramarines, l’indépendance, souvent jugée aventureuse, avait rarement leur préférence. D’ailleurs, c’est au prix d’une quadruple violation de la Constitution que le gouvernement français priva les citoyens africains du droit à l’autodétermination sur la question de l’indépendance (Loi 60-525, mai-juin 1960). Après avoir refusé la départementalisation du Gabon, en octobre 1958 (violation de l’article 76 de la Constitution).

De cette vaste opération où Paris était le vrai maître du jeu, résulta un nouveau système où, fort logiquement, Paris était encore le maître du jeu. C’est ainsi qu’avec la prétendue «décolonisation », surgit un néo-empire, puisque les indépendances adroitement imposées furent essentiellement illusoires et toujours finalement confisquées. Car à plus ou moins court terme, beaucoup de pères de l'indépendance furent évincés par des coups d'Etat sur ordre « métropolitain », et nombre d'entre eux furent assassinés. Ainsi, les anciens territoires d’Afrique, devenus Etats « indépendants », continuèrent d’être dans les faits contrôlés depuis Paris, et plus précisément depuis l’Elysée. Sans surprise, puisque tel était l’objectif poursuivi dès avant 1960.

Les réseaux de ce que FX Verschave a appelé la « Françafrique » parvinrent globalement à tenir sous leur domination les anciens territoires africains de la France, du règne de Charles de Gaulle (1958-1969) jusque sous celui de Jacques Chirac (1995-2007). Même si les positions de la France furent violemment remises en cause après la chute du mur de Berlin (1989) et, surtout, après l’effondrement de l’Union soviétique (1991). A partir de cette date, les Etats-Unis, jusque-là globalement alliés et complices de la « Françafrique », en devinrent des adversaires, puisque l’ennemi numéro 1, l’URSS, avait disparu. Ils n’hésitèrent plus à subvertir et déstabiliser le « Pré carré ».

Ce furent les années 1990 qui, à partir de la tragédie rwandaise (1994), plongea le Zaïre mobutien puis kabilien – demeuré finalement condominium franco-américain (ou euro-américain, sans exclusive d’autres « participations ») – dans une effroyable guerre (au moins 5 millions de morts) qui laissa le pays exsangue, malgré (à cause de) ses colossales richesses. L’onde de choc atteignit finalement le Congo-Brazzaville, l’un des cœurs de la « Françafrique », et l’embrasa.

Au début des années 2000, au prix d'un nouveau sac de nœuds et de flots de sang, l'un des sanctuaires « françafricains », la Côte d'Ivoire, bascula dans un chaos notamment politique, dont elle n'est toujours pas sortie à cette heure.

Aujourd’hui, où en sommes-nous ? Aux réseaux Foccart devenus Mitterrand-Pasqua ont succédé des systèmes d’influence où l’on retrouve d’anciennes figures de l’ère précédente, aussi bien du côté français que du côté africain.

Sous couvert de « décolonisation », en réalité sur fond de colonialisme, l’ex-Afrique française n’a jamais été indépendante, et chacun sait qu’elle ne l’est guère davantage aujourd’hui, en dépit des déclarations de l’Etat français et de ses « amis » africains. En dépit, aussi, des coups de boutoirs et autres pénétrations rivales sinon adverses.

A l’heure actuelle, la « Françafrique », bien qu’attaquée, est encore en grande partie debout, dirigée sinon depuis Paris, du moins avec son aide et son appui.
Que faut-il donc faire ?

Au gré d’une de ces ironies qu’il conviendrait de méditer, on voit aujourd’hui beaucoup d’Africains, en particulier parmi les plus occidentalisés (ou francisés...) d’entre eux, prôner l’indépendance de leurs pays, en réclamant à grands cris le départ de la France. En d’autres termes, ils réclament que soit accompli le projet officiel qu’entre autres ennemis de l’Afrique, l’Etat gaullien et néo-gaullien porte et exalte fallacieusement depuis cinquante ans.

Les Africains qui vendirent leurs frères comme esclaves aux Européens ou aux Arabes, puis collaborèrent avec le colonialisme, qui enfin servirent le néocolonialisme (celui-ci le leur rendit souvent bien) s’aperçoivent à présent de tout l’intérêt qu’ils ont à prôner aujourd’hui l’« indépendance ». Cela permet de se défausser à bon compte de ses responsabilités sur la seule « Françafrique », de se refaire une vertu toute neuve de patriote sensible à la misère du peuple, et de répondre in fine aux sirènes qui ne leur demandent aucun compte en termes de respect des droits de l’homme et de démocratie. Et qui graissent les pattes dans le secret le plus sûr, quand les Français ont de moins en moins de marges de manœuvre sur ces différents chapitres et sont, surtout, de plus en plus discrédités…

Dans pareilles conditions, faut-il s’étonner que le petit peuple d’Afrique subodore une nouvelle entourloupe, lorsque certaines de leurs élites leur annoncent de nouveaux lendemains qui chantent, sans hésiter à user du même « mot magique » que jadis ? Car le petit peuple sait bien que le désastre du néocolonialisme s'accomplit, tout au long de son histoire, aux noms merveilleux, successivement et au fil des décennies, d'« indépendance », de « coopération », d'« authenticité », de « démocratie », de « bonne gouvernance », et de nouveau, à présent, d'« indépendance » : la boucle est bouclée...

Alors souvent le petit peuple d’Afrique, encore aujourd’hui, opterait plus volontiers pour l’intégration franco-africaine ou euro-africaine, dans un cadre strictement égalitaire, démocratique et social, tout comme il l’espéra, en vain, il y a cinquante ans. A ces nouvelles aventureuses promesses d’« indépendance » de ses élites occidentalisées, il préfèrerait l’intégration à la France (et l'intégration de la France à son pays...) dans un cadre enfin égalitaire et fraternel.

Faut-il s’étonner que pareil choix, fidèle aux préférences de la plupart des leaders politiques africains des années 1950 et de leurs populations, trouve de nos jours un écho chez le petit peuple d’Afrique avec d’autant plus de force que celui-ci a échappé à l’occidentalisation et à la rhétorique de la Ve République, de ses pairs et de ses vassaux ?

Et faut-il s’étonner que les plus Français des Africains, ces élites qui vivent le plus souvent à cheval sur plusieurs continents et vivent un mode de vie complètement français ou occidental, défendent un projet totalement inverse, qui coïncide parfaitement, lui, avec les mots d’ordre dont se prévaut depuis cinquante ans l’Etat français et le reste du monde ?

Pour arrêter le massacre, resterait à la classe politique française, de droite comme de gauche, d’extrême-droite comme d’extrême-gauche, de cesser de mentir, et d’avouer ce qui se passa, il y a cinquante ans. Afin d’être capable d’écouter, enfin, ce que veut l’Afrique dans ses profondeurs, en particulier celle qui souffre.

Resterait, aussi, aux Africains d’oser parler, à se rappeler l’Histoire et à laisser parler leur cœur, sans craindre les foudres et les vengeances de l’univers.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, quand la classe politique métropolitaine est depuis si longtemps occupée à saper l’unité franco-africaine à coups d’histoire travestie et d’amnésie (jusqu'à, elle-même, perdre la mémoire), et que le Système est là, impérieux, qui musèle ou maudit les Africains qui ne marchent pas dans les clous.




Alexandre Gerbi




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