11 mars 2010

Le « Corps français » : Origine et enjeux de l’expression

Au-delà des mots
de Gérard Longuet et compagnie...




Le « Corps français » :

Origine et enjeux de l’expression



par


Alexandre Gerbi
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Gérard Longuet, Brice Hortefeux et Nadine Morano : tous les trois sont de petits émules du général de Gaulle et de la Ve République blanciste, d’ailleurs comme Nicolas Sarkozy. Alors pourquoi leur reprocher d’être fidèles au régime ? On voudrait donc qu’ils renient le système qu’ils servent et qui les porte ?

Car de Gaulle, père du régime, est bien l’inspirateur de ces différents et convergents propos. La rhétorique de l’indépendance voulue par l’Afrique dont use Nadine Morano dans une fameuse vidéo, et réutilisée récemment par Nicolas Sarkozy à Libreville, au Gabon, devant un public ébaubi par l’énormité du bobard, est exactement celle que le général de Gaulle et ses alliés employèrent pour justifier, il y a un demi-siècle, la mise au ban de la République des territoires d’Afrique. En maquillant l’affaire en « triomphe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». A l’époque, avec l’aide des Américains, des Soviétiques et de leurs valets, amis et clients, toutes les résistances furent vaincues, et le mensonge put triompher comme vérité incontestable. Sans discontinuité jusqu’à nos jours. Sous le fatras des carabistouilles, l’ignominie l’emportant sur la justice, la République recula au profit de la tyrannie.

Autre exemple, même référence. Le raisonnement de Brice Hortefeux sur les « Auvergnats » rappelle furieusement, lui aussi, comme l’ont relevé de nombreux observateurs, une autre citation du Général : « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns (…) mais il faut qu’ils restent une petite minorité, sans quoi la France ne serait plus la France » par lequel le général de Gaulle justifia, en coulisses, son choix de débarrasser le pays des « Arabes » algériens et des autres populations d’Afrique.

Quant au récent jugement de Gérard Longuet sur l’éventuelle nomination de Malek Boutih à la tête de la Halde, il s’inscrit, une fois encore, dans l’exact héritage du Général. Jusque dans sa terminologie. La drôle d’expression qu’utilise Gérard Longuet, le « corps français », est en effet typiquement gaullienne. Dans une saillie fort bien connue des initiés, de Gaulle expliqua : « Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! » Ainsi de Gaulle justifiait-il, in petto, sa politique de largage de l’Algérie, c’est-à-dire l’éviction, hors du « corps français » des Algériens en particulier…

On le voit, cette étrange conception de la francité, qui a l’air de tant choquer lorsqu’elle affleure chez Gérard Longuet, Brice Hortefeux, Nadine Morano ou Nicolas Sarkozy, ne se résume pas qu’à des mots. Elle s’est traduite en actes politiques majeurs, a fait beaucoup de dégâts. Car c’est notre chère Ve République tout entière qui en est la créature, née d’ailleurs, presque tout le monde l’a oublié, d’une première et éphémère Ve République, totalement différente, antiraciste, égalitaire et fraternelle, qui fut à la fois hypocritement portée, afin de revenir au pouvoir, puis systématiquement détruite par le même général de Gaulle…

C’est au nom d’une « certaine idée de la France », selon une expression fameuse que de Gaulle emprunta à Barrès, une France « avant tout de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne », de sa préservation contre la « bougnoulisation », que de Gaulle et ses alliés (y compris de gauche, dont la SFIO, ancêtre du PS actuel) crut bon de réduire la France essentiellement à l’Hexagone, en imposant une fausse indépendance à des territoires d’Afrique qui, bien au contraire, souhaitaient ardemment bâtir avec la France une grande République égalitaire et fraternelle. A la place d’une révolution dans le sens de l’Histoire de France et l’héritage de 1789 théorisée par l’avant-garde de l’école anthropologique française, qui aurait conduit au métissage de la métropole et de ses territoires d’Afrique, de Gaulle accomplit après 1958 une colossale régression au service, au mieux, d’une conception réactionnaire, blanciste et antirépublicaine de la France, au pire d’un montage idéologique d’origine états-unienne et soviétique. Certes, sous ce dernier angle, il se pourrait bien que l’opération relevât de la haute trahison…

La plupart des maux qui frappent aujourd’hui la France, mais aussi l’Afrique, au nord comme au sud du Sahara, remontent à cette époque, aux terribles choix qui furent faits, aux gigantesques mensonges qui les servirent, et aux idées monstrueuses qui y présidèrent. Les sorties consternantes de Gérard Longuet, de Brice Hortefeux, de Nadine Morano et de Nicolas Sarkozy n’en sont que de pâles reflets, qui ne sauraient dissimuler tout ce que la gauche, sur ce chapitre, au-delà de ses gesticulations actuelles et de son antiracisme ostentatoire, a elle aussi sur la conscience. Notamment touchant à ses complicités dans le largage de l’Afrique, et par conséquent, depuis lors, dans le calvaire de ses populations…

2010 aurait dû commencer par un débat honnête et salutaire sur l’« identité nationale » qui, intervenant au moment du cinquantenaire des indépendances africaines, année de l’Afrique en France, aurait permis de lever le voile sur un demi-siècle d’imposture et de crime contre la démocratie et la République, contre l’Afrique et contre la France. Car depuis au moins C’était de Gaulle d’Alain Peyrefitte, publié chez Fayard en 1994, on sait que le général de Gaulle imposa l’indépendance à des territoires qui, pour l’essentiel, aspiraient à l’égalité dans la République franco-africaine. Mais comme de Gaulle considérait que nos compatriotes d’Outre-Mer n’étaient pas des Français et auraient défiguré la France…

On devine, sans doute, les immenses ravages qu’engendrent de tels états de fait, mais aussi les refoulements qui les servent, puisque tout ceci est encore aujourd’hui largement caché aux yeux du peuple, qui souvent croit mordicus que les vieux Africains détestaient la France et voulurent s’en séparer. Ce qui pousse des pans entiers de la jeunesse, aujourd’hui, à détester la France à son tour. A l’imitation, croit-elle, de ses aïeux...

Au lieu de pousser des cris de vierge effarouchée en entendant élucubrer tour à tour les barons de l’UMP, au lieu de jouer l’hypocrisie plus encore, en définitive, que la droite, la gauche française ne serait-elle pas bien avisée de procéder à un grand déballage, en mettant sur le tapis, une fois pour toutes, l’histoire occultée de la Ve République blanciste et ses tromperies délétères ?

Mais pareille opération impliquerait, il est vrai, une forte dose de courage et d’honnêteté intellectuelle, et la faculté d’avouer que depuis un demi-siècle, la gauche française est complice d’une vaste trahison du peuple et de la République, en France comme en Afrique…

« Vaste programme », comme disait ce bon vieux Général…



Alexandre Gerbi




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