7 août 2008

Soudan, Mbem, et les effluves des rousses

Après le « Je persiste et signe »
d’Henri Guaino

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Soudan, Mbem

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et les effluves des rousses




par


Alexandre Gerbi


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« Soudan, mon Soudan, pour un air démocratique, on t’casse les dents… », chantait Alain Souchon il y a quelques années…

Cette heureuse formule pourrait presque parfaitement s’appliquer à François Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique. A ceci près que M. Soudan ne casse pas les dents : il se contente de traîner dans la boue ceux qui, plutôt que de verser dans l’invective et l’anathème, osent tenter de faire droit au débat.

« Pour un air démocratique… » Rappelons, en effet, que privilégier le débat sur la censure, préférer la critique rigoureuse à l’injure est, en principe, une des nobles spécificités du système démocratique face aux systèmes totalitaires. Mais il est vrai que la liberté de parole est une valeur en chute libre sous les jolis cieux de France. En l’an 2008, à Paris, dans les petits milieux détenteurs et défenseurs de la sacrosainte Bienpensance, l’insulte tient souvent lieu d’argumentaire…

L’écrivain André Julien Mbem vient d’en faire la consternante expérience.
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Rappel des faits : dans Le Monde daté du 27 juillet 2008, le Conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, « plume » du discours de Dakar, Henri Guaino, revient sur le discours qui, un an plus tôt, a défrayé la chronique et suscité la controverse. Dans sa tribune, M. Guaino affirme que des Africains ont « approuvé » ce discours. A l’appui de cette affirmation, il se réfère, entre autres, à André Julien Mbem, auteur d’un ouvrage publié chez L’Harmattan en décembre 2007. Dans son livre, Sarkozy à Dakar, M. Mbem propose une approche critique mais constructive du fameux discours. « La critique, même radicale, n’exclut pas le dialogue, elle le nourrit », explique-t-il en substance, avant de conclure : « l’essentiel est d’avancer ».

Dans un article publié sur son blog le 28 juillet, sobrement intitulé « Guaino, Mounier et l’odeur des Noirs », François Soudan réagit à la tribune du Conseiller spécial en écrivant notamment : « (…) un jeune auteur camerounais, André Julien Mbem, manifestement soucieux de se faire un nom en prenant le contre-pied des critiques, surtout quand elles sont évidentes ».

En d’autres termes, selon François Soudan, André Julien Mbem ne serait qu’un petit arriviste, dont les positions ne répondraient qu’à un calcul bassement personnel : accéder à la notoriété. En contrepartie, on suppose que François Soudan est, bien sûr, un modèle de vertu, d’indépendance, d’intégrité et de désintéressement, à l’image du titre pour lequel il travaille… Quant au fond ? Rien. Soudan se borne à injurier Mbem, sans apporter le moindre élément. Selon une figure qui fait étrangement penser aux méthodes de Bernard-Henri Lévy, pape de la Bienpensance parisianiste, qui, en octobre 2007, avait traité Henri Guaino de « raciste », à trois reprises, sur les ondes de France Inter, en revenant sur ce même discours de Dakar. Sans jamais, lui non plus, s’expliquer sur le fond autrement que par de rapides amalgames. Tout cela est parfaitement cohérent.

Nous avons questionné André Julien Mbem, qui nous a dit avoir, au moment de sa sortie, envoyé son livre à François Soudan et à la rédaction de Jeune Afrique. Réaction ? Là encore, rien. Le silence, le sidérant silence de la Bienpensance…

Une telle attitude n’étonnera que les novices. Car il faut le savoir : c’est devenu l’une des grandes techniques qu’emploie systématiquement un certain petit milieu bienpensant français, journalistique, intellectuel aussi bien que politique. Un : si l’on est contacté par quelque empêcheur de tourner en rond, faire l’autruche. Deux : quand on ne peut plus esquiver le fâcheux, l’injurier et le maudire. Avec cette clause absolue : refuser le débat et procéder par procès d’intention, amalgames et anathèmes. Bienvenue dans l’époque anti-voltairienne qui n’a que Voltaire à la bouche !

Or s’il est question de Pensée avec un grand P, dans le genre infâme, voilà qui vaut bien les « odeurs » d’Emmanuel Mounier, dont M. Soudan, dans son article, fustige le prétendu racisme, en réponse à M. Guaino qui présente le fondateur de la revue Esprit comme au dessus de tout soupçon. Preuve du racisme de Mounier selon Soudan ? Celui-là n’aimait pas l’odeur des Noirs… Soit dit en passant, personnellement je trouve que les Noirs puent atrocement, du reste comme les Blancs puent atrocement – surtout certaines rousses, dont les effluves me prennent à la gorge –, comme les Jaunes puent atrocement – j’ai quelques souvenirs particulièrement assaisonnés dans le métro, envie de gerber –, comme les Canaques puent atrocement – je n’ai jamais testé, mais je subodore… Monstre que je suis, faut-il que j’aie la narine plus délicate encore que l’illustre Mounier pour trouver ainsi que, quoique diversement, toute l’humanité pue atrocement des cheveux jusqu’aux aisselles en passant par le bec, sans qu’il soit besoin de descendre plus bas ! Heureusement que quelques filles sentent divinement bon tout de même, noires, blanches, jaunes, ou canaques – sur ce dernier point, je subodore toujours… Voilà qui sauve à mes yeux (et à mon nez !) les grands singes fétides que nous sommes pour beaucoup (cette restriction, afin que tout le monde ne s’imagine pas visé par mes propos olfactivement scandaleux)…

Quant à savoir si François Soudan, gros blond, pue… En tout cas, sur ce coup-là, il pue de l’esprit !

Toute blague à part, le fait est qu’il serait temps que le petit milieu journalistique, intellectuel et politique français cesse de se pavaner dans sa tour d’ivoire, et s’attache enfin au fond, et rigoureusement. En s’interdisant l’injure, il s’y obligerait. Car l’injure n’est pas seulement gênante parce qu’elle est vile autant qu’avilissante ; elle est surtout dangereuse parce qu’elle dispense d’argumentation sérieuse ceux qui la manient.
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Evidemment, c’est une évidence (M. Soudan lui-même s’en est aperçu…), le discours de Dakar comprend des passages grossièrement maladroits, et par conséquent absurdes et potentiellement injurieux, en particulier pour l’Afrique et les Africains.

Rappelons pour mémoire cette envolée désormais célèbre :

« Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.
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Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès.
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A l’évidence, tout ceci n’est vraiment pas très fin…

Pas plus que n’est très fine la description de la colonisation, présentée pour l’essentiel sous l’angle du désastre, de la faute et du fourvoiement. Mais ceci, évidemment, personne n’a songé à le reprocher à M. Guaino… Et pour cause : ce disant, la « plume » du Président français s’inscrit non seulement dans l’air du temps, mais aussi dans l’héritage gaullien (ou gaullo-sartrien…) en ses étranges métamorphoses, dont l’objectif fondamental est de justifier et de légitimer la séparation organique de la France et de ses anciens territoires et populations d’Afrique, en présentant celle-ci comme réclamée et voulue par les Africains. Alors même que, dans les faits, cette séparation fut, pour l’essentiel, décidée unilatéralement, il y a un demi-siècle, par la Ve République et son chef, contre la volonté profonde des populations d’Afrique et de la plupart de leurs leaders. Ceux-ci, majoritairement amoureux de la France, revendiquaient à l’époque la fin du colonialisme, non par l’indépendance, mais par l’instauration de l’égalité politique pleine et entière entre tous les citoyens de l’ensemble franco-africain. Afin de bâtir la grande République franco-africaine. Ils ne se résignèrent à l’indépendance qu’au prix de stratagèmes inouïs, de multiples violations de la Constitution et de coups de forces y compris militaire, auxquels le général de Gaulle se livra avec le plus extrême machiavélisme.

Au nom d’une conception absurdement essentialiste de la francité (« la France est avant tout une nation de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne », affirmait en coulisses Charles de Gaulle), l’indépendance fut pour ainsi dire imposée contre son gré à l’Afrique par le gouvernement métropolitain. Or cette conception blanciste de la francité, ni Senghor, ni Houphouët-Boigny, ni Lamine Guèye, ni Léon Mba, ni Barthélémy Boganda ne la partageaient… En revanche, un demi-siècle plus tard, bien des hommes politiques français la partagent encore, comme en témoigne le discours de Dakar, qui s’adresse d’ailleurs d’emblée aux Africains « en ami » et non « en frère », et les tient de bout en bout à distance respectable…

C’est avec ce vieux fond différencialiste hérité des années 1950, du général de Gaulle et de ses alliés objectifs, notamment libéraux et staliniens, que M. Guaino bricole et compose. De là, qui peut s’étonner de l’entendre présenter l’Afrique comme intrinsèquement arriérée, portée à la stagnation, enfermée dans la répétition, dans le repli identitaire, dans le refus de la modernité et de l’ouverture au monde ?

Mais pour verser dans de telles caricatures de l’Afrique, des Africains mais aussi de la colonisation franco-africaine, M. Guaino n’a-t-il donc lu ni Amadou Hampâté Bâ, ni Yambo Ouologuem, ni Alioune Diop, ni même Robert Delavignette ou Maurice Delafosse ? Touchant à toutes ces questions fondamentales, son horizon littéraire se bornerait-il à Baudelaire, Rimbaud et Camara Laye ? A moins que l'ancien professeur à Sciences Po n’ait une mémoire quelque peu sélective…

Sans doute la « plume » de l'Elysée serait-elle bien inspirée de reconnaître, une fois pour toutes, ses erreurs ou ses lacunes, ce qui pour un honnête homme est à peu près la même chose. Errare humanum est, sed perseverare… Car contrairement à ce qu’avance le conseiller spécial de l’Elysée, ni André Julien Mbem, ni Bara Diouf ne contestent au discours de Dakar approximations et faiblesses, brutalité et maladresse. Bien au contraire, ils l’en fustigeraient sans doute plus violemment encore, s’ils n’avaient surtout au cœur un tout autre désir : celui de construire

L’un et l’autre préfèrent s’attacher à ce qui, dans ce discours, mérite d’être entendu, d’être compris, d’être réfléchi.

Car de tels aspects, pertinents et instructifs, il faut le dire, le discours de Dakar en recèle également. Non seulement les condamnations des méfaits, des horreurs et des ignominies du colonialisme, non seulement l’affirmation de l’esclavage comme un gigantesque crime contre l’humanité. Mais aussi la nécessaire autocritique d’une Afrique que d’aucuns cherchent à enfermer, en effet, dans un narcissisme béat et parfois délétère. Si l’Afrique doit incontestablement une part de ses échecs et de ses drames à d’autres qu’elle-même, elle porte aussi, dans cette situation tragique, une lourde part de responsabilité. Or cela, il est interdit de le dire aujourd'hui, surtout si l’on est un Blanc. Sur ces différents points, au moins, Henri Guaino n’a-t-il pas eu raison d’inciter le président de la République française à s’insurger, et à présent de tenir ferme ? Et, sur ces mêmes points, Bara Diouf et André Julien Mbem ont-ils tort de l’approuver ?
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Il est clair que si l’Afrique doit accepter de faire son autocritique – ce qu’un écrivain comme Simon Mougnol, alias Abanda À Djèm, ne cesse d’écrire et de répéter depuis des années, bien avant le discours de Dakar, sans être dupe, simultanément, des manigances françaises, occidentales et plus généralement étrangères qui ont fait tant de mal au continent noir –, l’Europe et la France doivent aussi accepter de faire la leur.

Or, dans cet exercice conjoint d’autocritique, il se pourrait bien que l’Europe et l’Afrique soient l’une à l’autre d’une salutaire utilité. Chacune possédant beaucoup de ce dont l’autre manque, ainsi que le rappelle d’ailleurs opportunément, là encore, le discours de Dakar.

André Julien Mbem ne dit pas autre chose, lorsqu’il affirme : « Je pense que l’Afrique et l’Europe n’avanceront ensemble que si chacun accepte l’épreuve redoutable du miroir ».

Une image parlante dont le contenu est riche autant que les enjeux profonds. Une image qui éclaire de façon passionnante et ouvre le discours de Dakar plutôt que de le réduire à ses failles, et reflète un point de vue qui aurait mérité un peu moins d’injure. Et surtout, un peu plus de débat. Selon le noble esprit de la démocratie…

Alexandre Gerbi

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1 Comments:

At 15/10/10 22:10, Blogger Sophie de Clauzade said...

Quelle importante variation ! (variation intellectuelle et poétique autour des retrouvailles de la France et de l'Afrique...)

 

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