5 mai 2008

Lettre de Gilbert Comte à Fernand Wibaux


Article publié
sur le site Afrique Liberté
le 4 mai 2008
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DOCUMENT INEDIT :
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Une lettre de Gilbert Comte à Fernand Wibaux


Journaliste au quotidien Le Monde de 1962 à 1983, écrivain, Gilbert Comte a derrière lui une grande carrière dans l’ombre politique : il été conseiller du président nigérien Diori Hamani, conseiller du Premier ministre Edith Cresson, membre du cabinet du ministre de la Défense Jean-Pierre Chevènement, membre de la Haute Autorité de l’Audiovisuel nommé sous la présidence de François Mitterrand.
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Gilbert Comte est aussi un des derniers africanistes. Homme de haut orgueil intellectuel, il fuit les positions convenues qui confèrent à bon compte l’honorabilité. Ses propos n’en ont que plus de prix. Ce qui est écrit là ne relève ni de la pause ni de la tactique, mais du point de vue sincère totalement dépourvu de fard. Une telle approche est rare pour qui sait les précautions de langages, les postures, les faux-semblants, les hypocrisies et surtout les profonds mépris qui affleurent dès qu’on parle d’Afrique aujourd’hui, et depuis longtemps déjà.
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A travers cette lettre inédite, écrite en 1997, dont il a bien voulu nous confier la publication, on découvre par l’œil de Gilbert Comte les dessous de la « Françafrique », tels qu’ils furent aussi constatés et déplorés, en France, dans les plus hautes sphères de l’Etat. Son destinataire, Fernand Wibaux, est l’un des hommes qui firent la politique africaine de la France jusque sous la présidence de Jacques Chirac. La force aveugle et absurde d’un système s’éploie dans sa sidérante pérennité, autour de la figure étrange de Jacques Foccart. Avec, finalement, cette question terrible et lancinante : pourquoi ?
Alexandre Gerbi


Gilbert Comte à Fernand Wibaux

Paris le 4 février 1997


Mon cher Wibaux,


Au rythme d’une rencontre occasionnelle – je n’ose dire accidentelle – tous les cinq ou six ans et aux âges où nous arrivons, nous revoir encore me semble bien improbable. Personnellement, je m’en désole. Depuis nos premières conversations à Fort Lamy, en 1970, j’ai toujours apprécié la vôtre. Vous parlez des choses de ce monde, singulièrement de celles de l’Afrique, en homme de bon sens, instruit par l’expérience. A Beyrouth, vous avez vu le feu de près et affronté le pire avec un courage impavide. Toutes ces qualités vous rendent intéressant et sympathique. Mais je n’y puis rien si, à vos yeux, j’en présente sans doute beaucoup moins, à en juger par votre peu d’empressement à me rappeler au téléphone quand je laisse un message à votre secrétaire ou chez vous. Ma dernière tentative remonte à 1993 ou 1994 et me suis fort bien porté de son médiocre résultat. Il faut prendre la vie comme elle marche, quand rien n’oblige à presser le pas. Et dans ce cas précis, rien ne m’aiguillonnait. J’aurais été heureux d’avoir de vos nouvelles, de connaître votre opinion sur les événements. Rien de plus.
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Avec bonne grâce, la nature m’a pourvu des moyens de vivre à l’aise dans ma bibliothèque sans aucun besoin de représentation sociale. J’ai donc déploré votre mutisme, mais sans en tomber malade. Il existe de plus grandes misères. Par exemple, celles de l’Afrique.
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Ses désordres actuels épouvantent. Pourquoi ne pas vous en dire quelques mots, puisqu’en raison de vos responsabilités officielles et professionnelles, découvrir et appliquer des remèdes vous incombe directement ? Vous le savez sans doute, je ne figurais pas en 1960 parmi les chantres éperdus de la décolonisation. Dans la ligne des fonctionnaires qualifiés d’« indigénophiles » avant 1939, il me semblait d’abord indispensable d’établir une égalité de droit réelle entre blancs et noirs. A ce titre, la loi cadre de 1956 comblait mes vœux. Je souhaitais qu’elle modernise les territoires et leurs populations pendant une vingtaine d’années. La décision gaullienne, d’octroyer au nom du nationalisme, l’indépendance à des pays sans nation, me parut bien aléatoire, c’est le moins qu’on puisse dire.
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Sous l’effet de la guerre d’Algérie, il existait curieusement à cette époque une bonne volonté générale. Pour ne pas revivre au sud du Sahara les drames du Maghreb, nous étions tous prêts à aider l’émergence de nouvelles républiques, afin qu’elles échappassent à la guerre civile ou à la misère. Dans leur intérêt bien compris et le nôtre, nous souhaitions aussi les arracher aux tentations de style guinéen, c’est-à-dire à la dictature et à de stupides et coûteuses improvisations.
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Comme le ciel m’a pourvu de convictions communicatives, je me dépensais beaucoup par la parole, par la plume, pour soutenir et expliquer cette politique. Plusieurs présidents voulurent bien m’entendre, m’écouter, à commencer par Houphouët-Boigny.
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Mes idées trouvaient aussi un excellent accueil au Ministère de la Coopération. Au fond, je donnais un contenu doctrinal à une politique officielle d’un pragmatisme généralement dépourvu d’ambitions intellectuelles. Quelques-uns des gens au pouvoir aimaient me voir soutenir ou défendre des actes qu’ils jugeaient nécessaires, mais ne se souciaient pas d’expliquer. La décision et le débat ne font pas toujours bon ménage. En ce temps-là, certains responsables appréciaient encore l’argumentation. Pour prendre de l’altitude, ils ne confiaient pas, comme aujourd’hui, leurs intérêts à des publicitaires, conseillers en communication, marchands de rêves et autres courants d’air.
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Quand Jacques Foccart prit ses fonctions, le chef du service de presse de l’Elysée, Jean Chauveau, me conseilla de le voir et m’obtint immédiatement un rendez-vous. Cette première rencontre, fort décevante, avec le nouveau maître des affaires africaines, détermine très largement ma lettre d’aujourd’hui. A vingt-huit ans, je n’étais plus tout-à-fait un novice, et commençais à savoir comment m’y prendre pour parler aux officiels. En cet automne 1959, de Gaulle se préparait à soutenir « ceux du Mali » contre les quatre Etats du Conseil de l’Entente. A tort ou à raison, je soutenais les amis d’Houphouët. Mon propos ne devait pas manquer de flamme. Il en existe toujours dans les vraies convictions. Mon interlocuteur m’observait d’un œil rond, poissonneux, globuleux, soupçonneux. Il répondait par monosyllabes à des questions précises, remuait de temps à autre un dossier. Ce fut notre plus longue conversation. Par la suite, je le croisais de loin en loin dans un cocktail. Il me tendait une main molle, un vague sourire aux lèvres, mais ne m’invita jamais à un seul déjeuner de presse, comme si je figurais parmi ces journalistes douteux qu’il vaut mieux ne pas fréquenter. En 1962, cependant, il donna l’aide convenable aux nombreux amis, émus par mon internement administratif pour mon appartenance à l’OAS, non démontrée, ni démontrable, puisqu’elle n’existait pas. Les responsabilités éminentes qu’il exerçait dans la lutte contre les activistes lui donnaient d’ailleurs les moyens de savoir à quoi s’en tenir sur ma prétendue culpabilité. A ma libération, je le remerciai aussitôt par une visite. L’occasion était bonne pour établir enfin quelques rapports personnels. Cette fois encore, le courant ne passa pas. J’avais sans doute le tort d’avoir des opinions sur trop de choses, de fonder mes jugements sur un examen le plus possible équitable entre des faits contradictoires et des opinions opposées. On me disait et on me savait « de droite ». J’acceptais bien volontiers ce terme très pesant. Malgré son poids, il m’affranchissait des conformismes intellectuels de l’époque et me donnait beaucoup de liberté. J’en profite encore.
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Je ne me reporte pas ainsi en arrière par plaisir d’égrainer mes souvenirs, mais parce qu’ils se rattachent à bien des choses, à commencer par les impasses de l’Afrique, trente-cinq ans après.
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Comme certains hommes, Jacques Foccart pourrait s’envelopper de silences, de distances, parce qu’il n’a pas le don ou le goût des confidences. Chacun sa nature. En définitive, seul compte le résultat de l’action. Non la façon de la taire ou de la mettre en valeur. Les siennes et celles qu’il patronne encore furent-elles conformes à nos intérêts nationaux ? En d’autres termes, le maintien des positions françaises dans nos anciennes colonies résulta-t-il de sa clairvoyance ou de l’incommensurable bonne volonté des dirigeants locaux, conscients de leurs faiblesses et, par conséquent, désireux dès l’origine de maintenir d’excellents rapports avec nous ?
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Une réponse globale exigerait un examen circonstancié au cas par cas. Il suffit de regarder les choses comme elles se passèrent, pays par pays, pour aboutir à des conclusions éloignées des thèses officielles et des légendes officieuses. Auprès de ses amis comme de ses adversaires, Jacques Foccart passe pour un homme au flair redoutable, sans pareil dans l’art ténébreux de maîtriser les gens et les événements. Pour les seconds, constatons qu’il s’y adapta souvent plus qu’il n’y changea quelque chose, même quand l’adaptation conduisait la France à se soumettre au pire ou à l’absurde. En 1963, nous avons ainsi accepté en République Centrafricaine le remplacement de David Dacko par Bokassa, au terme d’un coup d’Etat, suivi de meurtres et de viols. En 1964, nous avons laissé l’équipe de Massemba-Débat introduire les Russes à Brazzaville. Ils n’en ont disparu qu’avec l’effondrement de l’URSS, et certes pas à cause de nous. En 1968, au Mali, les successeurs de Modibo Keita se cramponnèrent pendant des années à un système économique désastreux sans réactions sérieuses de notre part. En 1970, nous avons soutenu, contre toute raison, la sécession biafraise, sans aucun profit pour nous, malgré, localement, des pertes effroyables en vies humaines. Qu’on ne m’explique pas cette passivité par un respect scrupuleux du droit des gouvernements africains à choisir leur politique. Bokassa n’était certes pas un « gouvernement » comme les autres. En 1969, Jacques Foccart n’en organisa pas moins pour lui, une visite officielle en France. Il incomba même au général de Gaulle le triste sort de recevoir en lui le dernier chef d’Etat qu’il accueillit comme Président de la République avant sa démission.
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Pour les Africains, cependant, la politique n’empruntait pas toujours des voies aussi aimables. Lorsqu’en 1974, Diori Hamani tenta d’obtenir une juste rémunération pour l’uranium du Niger, un putsch le chassa promptement du pouvoir, avec en prime l’assassinat de son épouse. Ensuite, il passa en prison dix ans de sa vie, jusqu’à ce qu’en 1984, je m’en aille convaincre Kountché de le libérer avec l’accord de Guy Penne et l’assistance, à Niamey, de notre ambassadeur, Maurice Courage. Je suis donc bien placé pour savoir qu’il ne s’agissait pas d’un exploit hors de portée d’un homme normal. Il fallait seulement du cœur et de l’application. Vous-même vous souvenez sans doute comment après mon passage au Tchad, en 1970, je m’y suis pris pour rendre invraisemblables toutes les sornettes alors à la mode sur le FROLINAT et son fameux Abba Siddick. Maintenir Bokassa au pouvoir et laisser Diori Hamani en prison résume à mes yeux beaucoup de la politique africaine de la France en ces années funestes. Vous comprendrez qu’elle ne me pénètre pas d’une grande admiration.
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J’entends bien qu’en trente-sept ans, Jacques Foccart n’a pas seulement commis des erreurs là où il passait. Sans doute a-t-il bien assuré la succession de Léon M’Ba. En 1964, j’avais d’ailleurs été l’un des rares journalistes français à soutenir notre intervention militaire à Libreville. Je n’ai aujourd’hui aucune information particulière sur les événements de Bangui. Mais, à s’en tenir aux explications officielles, il n’en demeure pas moins navrant qu’à trente-six ans des indépendances, nous en soyons toujours à tirer des coups de fusil quelque part avec, dans ce cas-là, l’utilisation d’hélicoptères et de blindés.
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Aux abords de Sarajevo, voici quelques années, quand les Serbes assassinèrent, sous leurs yeux, je ne sais plus quel homme politique bosniaque important dont nous garantissions la sécurité, nos soldats se montrèrent beaucoup moins braves. Sans doute parce qu’ils avaient devant eux des adversaires autrement redoutables.
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Vous vous en doutez, je crois connaître suffisamment bien le monde noir pour m’illusionner sur les vertus de la démocratie, selon Montesquieu et Jean-Jacques Rousseau, des Tropiques à l’équateur, et même un peu au Sud et au Nord. Sans doute n’existe-t-il même pas de peuple centrafricain au sens moderne du terme. Seulement des tribus éparses, opposées par des haines séculaires. Qu’en trente-six ans, nous n’ayons pas été capables de former les deux ou trois-cents personnes capables de constituer une élite digne de ce nom ne m’en semble pas moins abominable. A défaut d’accélérer la formation d’une conscience historique, parmi des peuples encore très rudimentaires, selon nos lois, nous pouvions tout du moins, dans ce cas, pourvoir à leur essor. Tous ne peuvent sans doute pas pratiquer ce qu’on appelle la démocratie avec ses bluffs, trucages et subterfuges, mais tous ont droit au respect. Celui-ci impliquait quelques aménagements dans vos méthodes.
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A l’époque où je découvrais la politique africaine, nos Administrations parisiennes préparaient l’avenir avec tout un personnel sorti de l’Ecole de la France d’Outre-mer. Ces gens-là m’émerveillaient par leurs connaissances. Ils se caractérisaient aussi par une vitalité exceptionnelle, communicative et par une bienveillance inépuisable. J’en trouvais toujours deux ou trois pour expliquer dans le détail le fonctionnement des choses. A la retraite déjà, Robert Delavignette se mêlait à nous, donnait son avis, avançait des hypothèses, des remarques, en imposait à tous par une majesté seigneuriale. Fort célèbre, il ne semblait pas craindre, comme M. Foccart, mes questions ou ma compagnie. Les hommes de grande valeur transmettent volontiers leur savoir. Ils ne se retranchent pas dans une distance familière, de nos jours, à tant de solennelles nullités. Je n’ai certes jamais cru à la politique fondée sur le bavardage. Le sérieux exige de la discrétion. Mais les responsables de l’époque, je pense à Jean Foyer, Raymond Triboulet plus tard, ne manquaient ni de l’un ni de l’autre. En gens normaux, ils distinguaient le secret de la cachotterie.
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Associé à une morgue récente dans l’Administration, l’autre système a produit de curieux personnages. Un matin des années 70, je vous rendais visite dans votre bureau de Directeur de Cabinet du Ministre de la Coopération, Lipkowski peut-être – et vous arriviez, avec une drôle de tête de la rue de Babylone toute proche : « Delavignette vient de mourir, m’avez-vous dit, je suis allé m’incliner sur son cercueil ». Je vous demandai aussitôt si le Ministre faisait déposer une gerbe. Personne n’y songeait. Vous en avez donc chargé l’un de vos collaborateurs : « Noailles, il faudrait déposer des fleurs chez Delavignette ». « Qui est-ce ? » demanda le sémillant aristocrate. Trois jours plus tard, je racontais la scène à mon ami Pierre Fanguinoveny, l’un de ces Africains admirables produits par la colonisation. Il hocha tristement la tête et murmura : « Petit con ! »
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Quand Foccart disparaîtra, son nom entouré d’une réputation propre à frapper les naïfs subsistera peut-être mieux, malgré l’ignorance des jeunes fonctionnaires. Mais quelle idée auront-ils de son œuvre ? Quel poids pèse-t-elle dès à présent ? Le bilan peut s’imposer d’un jour à l’autre. Avec le sien, celui de M. Dupuch et le vôtre, l’âge des trois hommes responsables de notre politique au sud du Sahara, totalise deux cent dix-neuf années. Sans aucune muflerie, croyez-moi, cette évaluation relève aussi de la politique. Vous n’avez en outre autour de vous aucune équipe de gens jeunes, compétents. En trente-sept ans de responsabilités, Jacques Foccart n’a formé personne. Il ne laissera aucun successeur, aucun disciple digne de ce nom. Peut-être convient-il de s’en féliciter ! Mais aussi, quel involontaire aveu d’insuffisance.
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Avec la meilleure volonté du monde, je me demande comment vous pouvez bien vous y prendre pour connaître, mesurer en profondeur les mouvements du continent noir. Ses ambassadeurs se pressent, paraît-il, dans vos antichambres. En dehors de faveurs personnelles, je me demande bien ce qu’ils peuvent venir y chercher. Je me demande aussi quels conseils incomparables ils reçoivent pendant leurs visites. Votre recours à Mobutu dans la crise actuelle du Zaïre démontre bien les limites de vos choix. Vous n’aviez personne d’autre, objecterez-vous peut-être. Connaissez-vous suffisamment bien les générations nouvelles du pays pour pouvoir en jurer ? N’êtes-vous pas, depuis longtemps, séparé d’elles par des multitudes épaisses de quémandeurs, de flagorneurs, de courtisans ? Si un homme de talent se dresse un jour dans quelques banlieues ou forêt zaïroise, vous apprendrez son existence avec six mois de retard par les journaux américains.
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A l’inverse des grands coloniaux, Jacques Foccart et son système n’ont strictement formé personne : pas de disciple, pas d’héritier pour recueillir au moins l’élémentaire savoir qu’apporte l’existence. Parmi les hommes d’entre quarante et soixante ans nécessaires, indispensables même pour concevoir une politique adaptée aux forces nouvelles en mouvement de Nouakchott à Kinshasa, qui peut se réclamer de son enseignement, de ses leçons ? Et encore, des quadra-sexagénaires forment une génération familiarisée depuis déjà longtemps avec les affaires. Brazza avait vingt-trois ans lorsqu’il reçut les crédits, les moyens matériels utiles à sa première mission gabonaise. Marchand en avait trente-six quand il marcha sur Fachoda. A ces noms, j’entends déjà les gros rires du Cabinet présidentiel. Pourquoi pas le marquis de Montcalm, le Chevalier Bayard pendant que j’y suis ! Qu’importent ces antiquailles à des gaillards sains de corps et d’esprit, munis du téléphone pour correspondre avec Patassé ou quelques autres funambules irremplaçables ?
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J’assure qu’il faut mal me connaître pour attribuer ces constatations à un âcre goût des railleries. Elles obéissent non au plaisir de me moquer, mais à une profonde tristesse. Patriote banal, je souffre de voir mon pays en de si profondes ornières. Même plus des chemins de traverse ! Je ne suis pas assez naïf pour confondre la politique avec une avenue ensoleillée sous les fleurs. Plus prosaïquement, je crois aux vertus du travail, de l’application, du courage, de la conscience. Elles ont leur place dans cette activité-là. Quand elles ne l’occupent pas, nous allons vers l’amateurisme, l’arrivisme, l’improvisation, la prétention et, pour finir, l’échec, l’humiliation.
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Lors de la dernière de ces rencontres fortuites qu’il nous arrive d’avoir, vous avez dit en m’entendant, sans qu’il me soit possible de savoir s’il s’agissait d’une remarque amicale ou d’un propos excédé : « Je reconnaîtrais votre voix entre mille, à l’intonation du sarcasme ! ». Grand compliment, peut-être à votre insu, dans une époque où tant de gens se confondent, tellement ils n’ont plus rien à dire de personnel. Dans ce monde étouffant, essayons quand même de ne pas nous laisser convertir en cadavres. Le ciel m’a doté d’une curieuse aptitude : celle de parler en toute franchise, d’appeler un chat un chat, même devant les puissants de ce monde. Croiser Jacques Foccart dans un salon ne m’inflige nulle tremblote, ni n’éveille en moi beaucoup d’intérêt. Pour tout avouer, je le trouve terne, immobile, et bloqué devant le monde. Notre époque aime surtout les craintifs. Mais enfin, on ne se refait pas. Je garde donc aujourd’hui assez de bonne humeur pour souhaiter à vous et aux vôtres la meilleure année possible. Et si, comme l’hypothèse me semble très réalisable, nous ne nous revoyions jamais, du moins cette lettre éveillera peut-être en vous quelques besoins de réfléchir sur le bilan de vos œuvres. Il faut vous dépêcher. Le temps presse. Et bonjour.

Gilbert Comte

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