7 avr. 2008

Chute d’un colonel à Anjouan



Chute d’un colonel à Anjouan :

Et après,

M. Sarkozy ?
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par
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Anne-Proserpine Diop


Morte ou pas morte la « Françafrique » ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que M. Sarkozy s’est souvent montré brouillon sur le sujet. Question-Quizz de la semaine : à Anjouan, le président de la République française joue-t-il les hérauts de la démocratie, les parrains néo-gaulliens, ou les apprentis sorciers ?


Par un joli matin d’automne dans l’hémisphère sud, le 25 mars dernier, à soixante kilomètres des côtes mahoraises de la France, porté par une coalition internationale, un débarquement militaire a eu lieu. Nos aimables confrères des médias hexagonaux ont couvert l’événement avec une extrême discrétion, préférant concentrer les débats sur l’agitation au Tibet, la flamme olympique et ses pérégrinations militantes, mai 68 et les chiens écrasés. Les Comores, c’était pourtant de l’or en barre pour un grand reporter… La bande-annonce mettait l’eau à la bouche.

Ambiance Apocalypse Now, lumière rouge, hélicos ukrainiens sur fond de soleil levant, treillis, casquettes, fusils automatiques : une équipée digne d’un roman d’espionnage des années 50. Sur la photo avec lunettes noires, Bush, Ahmadinejad, Kadhafi et Sarkozy, incarnations splendides des Etats-Unis, de l’Iran, de la Libye et de la France. Les quatre compères autour d’une table, sur la table une carte, sur la carte l’immensité bleue de la mer, au milieu un minuscule point triangulaire : Anjouan… contre le reste du monde ! Nom de code : « Démocratie aux Comores ».

Plus prosaïquement, le colonel Bacar, président contesté d’Anjouan, a été soufflé comme un veau de lait par une explosion atomique. Grande victoire du Droit.

Epilogue. A Mayotte, au cours d’émeutes, certains Comoriens très expansifs, furieux que la France prît en charge le tyranneau en fuite, molestèrent des passants innocents. Qu’aurait voulu la foule ? Qu’on lui livrât Mohamed Bacar afin qu’elle l’étouffât avec ses tripes ?

Nous ne flétrirons pas outre mesure l’humanisme sarkozien qui s’est illustré dans cet asile politique. Le sang n’efface pas le sang. Que la justice mène une enquête impartiale, et tranche le cas Bacar sans faiblesse. Vous doutez ? Nous aussi. Mais nous attendons surtout de voir la suite. Car c’est le plus important.



Comme disaient Démosthène et Plutarque, il faut toujours remettre les choses dans leur contexte et à leur juste échelle. Vincent Kraft et Alexandre Gerbi l’ont utilement rappelé la semaine dernière dans nos colonnes : avec ce débarquement, Anjouan sort d’une période de dix ans de quasi-indépendance.

L’indépendance avait été proclamée, le 14 juillet 1997, dans un climat présentant de singulières analogies avec celui qui a préparé la chute du colonel Bacar – fonctionnaires impayés, pénuries en tous genres, absence de perspectives pour la jeunesse, mécontentement populaire contre le gouvernement, misère, abus de pouvoir multipliés, violence d’Etat.

A l’époque, les Anjouanais révoltés ne s’étaient pas contentés de faire sécession de la République islamique des Comores. Ils avaient aussi, simultanément, proclamé leur rattachement à la France, dans une ambiance de révolution. Un vrai 1789 en miniature, survenu comme il se doit un 14 juillet….

La France ? Elle n’avait rien voulu savoir. A Paris, on craignait trop de devoir réintégrer, après Anjouan et déjà la petite Mohéli, bientôt Grande-Comore elle-même, et donner de la sorte de dangereuses idées à l’Afrique continentale. Selon une réaction en chaîne incompréhensible vue de métropole, mais pas si étonnante pour qui connaît bien l’Histoire et les secrets de l’âme africaine, l’Afrique profonde, sa mémoire d’éléphant, ses grands rêves avortés, et son fol amour pour la France.

Pendant l’été 1997 à Paris, fidèle aux principes inviolables de la « Françafrique », depuis quelque plage ou quelque terrasse convenablement éventées, le gouvernement chiraco-socialiste répondit « Niet » aux Anjouanais rattachistes. Ce fut simple, et par la suite un peu meurtrier, à cause du choléra. Las ! A l’époque, le débarquement armé dépêché par Moroni avec l’aval du Quai d’Orsay échoua, et Anjouan resta quasi-indépendante de Grande-Comore… La réponse consista en un embargo qui, nonobstant les ravages du choléra qu’il secréta, n’atteignit pas son but, puisque Anjouan demeura « libre ».

De cette époque à nos jours, la malédiction put reprendre ses droits. La tyrannie, qui avait poussé le peuple anjouanais à en appeler à la France, descendit cette fois dans le corps d’un certain Mohamed Bacar. Progressivement, la prévarication, les trafics, les détournements, l’arbitraire, la terreur armée et barbouzarde s’abattirent à nouveau sur Anjouan, qui continua longtemps à célébrer, année après année, le 14 juillet, anniversaire de son indépendance, malgré le refus de la France de la réintégrer… La révolution anjouanaise, qui avait réclamé l’avènement de la République vertueuse et généreuse, fut progressivement assassinée avec la complicité de celle-là même qui devait l’en délivrer, et s’abîma dans une nouvelle dictature ubuesque sous le règne d’un colonel francophile.



La semaine dernière, le 25 mars 2008, cette même France, qui ne sait plus quoi faire à Mayotte surpeuplée où déferlent jour après jour, mois après mois, années après années, décennies après décennies, des flots continus de Comoriens et en particulier d’Anjouanais fuyant la misère et le désespoir, cette même France a parrainé un nouveau débarquement armé à Anjouan, bénéficiant cette fois, contrairement à 1997, du renfort d’un important contingent tanzanien, à la grande sérénité de Moroni, et la grande inquiétude de Moutsamoudou.

Dans cette situation, que compte faire Nicolas Sarkozy ? Imposer à Anjouan un retour dans le giron de la République islamique des Comores devenue Union Comorienne, dont le peuple anjouanais pourrait bien ne pas vouloir ? Qu’en penseront ses alliés subsahariens dans cette affaire, tous là pour conjurer les sécessions qui couvent ou brûlent chez eux : Zanzibar pour la Tanzanie, Casamance pour le Sénégal, Darfour pour le Soudan… Quant à l’Afrique du Sud, le géant diplomatique de l’Afrique subsaharienne traditionnellement très puissant dans la région, qui plaida jusqu’au bout une autre méthode et une autre issue, la pression diplomatique et les négociations, M. Sarkozy a préféré lui tourner le dos et opter pour la force, flanqué de bien étranges acolytes…

Dans cette confusion des alliances et des genres, sur fond de tabou gaullien dont la Ve République est pétrie – le vieux catéchisme top secret du blancisme, entre « blanchitude » et « catholocité » –, le président de la République osera-t-il jouer la carte de la démocratie à Anjouan et aux Comores, pays nègres et musulmans ?

Prenant acte de la Révolution anjouanaise de 1997, l’homme de la « Rupture » saura-t-il convaincre Moroni, l’ONU et ses multiples alliés de laisser enfin la parole au peuple d’Anjouan et de Mohéli, dans le cadre d’élections vraiment libres et démocratiques, afin que les populations de ces deux îles choisissent librement leur statut ?

Enfin, quel que soit le verdict des urnes, celui-ci sera-t-il vraiment respecté par la communauté internationale ? Comment réagira la France si Anjouan et Mohéli souhaitent redevenir des territoires de plein droit de la République française ?

La discrète opération « Démocratie aux Comores » s’annonce par bien des aspects, notamment le black-out médiatique qui l’a accompagné, comme une nouvelle imposture aux dépens des peuples anjouanais et mohélien, comorien et français.

Pourrait-elle cacher, en embuscade, l’aube d’une « Rupture » digne de ce nom ?


Anne-Proserpine Diop


Article d'Anne-Proserpine Diop publié sur le site Afrique Liberté le 5 avril 2008

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