L’incroyable Révolution de Mai 1958
L’incroyable Révolution de Mai 1958
.
Un monde
et ses rêves engloutis
par
.
Alexandre Gerbi
.
Le joli mois de mai approche… Joie de se rappeler, il y a quarante ans, le glorieux Mai 68 des étudiants, le sublime sursaut libertaire face au monde servile et consommateur. Espérons que sous le fatras et les baves extatiques, nos aimables confrères des médias de masse sauront nous rendre ce que fut cette «rencontre des pôles» et cette «épée du printemps» qui sacra «notre épaule [1]». Mais comme annoncé par Anne-Proserpine Diop et Simon Mougnol dans nos colonnes, n’oublions pas l’autre anniversaire : celui de Mai 58. Celui de ses rêves et de son monde engloutis.
Prisonniers noirs, je dis bien prisonniers français,
est-ce donc vrai que la France n’est plus la France ?
Est-ce donc vrai que l’ennemi lui a dérobé son visage ?
Léopold Sédar Senghor[2]
1945 ou L’heure de vérité
Quand sonna l’heure de vérité, après la Seconde Guerre mondiale, le peuple français était une vaste entité composite, grand peuple en voie de fusion. Européens, Africains, Berbères, Arabes… Ce peuple avait forgé sa première unité au gré des promesses et des rêves de la IIIe République et de l’esprit de 1789. Mais aussi dans le feu des champs de bataille.
En 1945, le racisme sortit discrédité du phénomène nazi. En s’abattant sur les « Untermenschen[3] » avec la plus vile animalité, la praxis hitlérienne avait prouvé l’immense danger des élucubrations sur la hiérarchie des races, et leur absurdité monstrueuse. Elle avait du même coup achevé de démontrer, après Dada, que l’Europe imbue d’elle-même courait, par narcissisme, à sa perte dernière.
Le moment semblait venu de reconnaître comme Français de plein droit, comme citoyens, comme hommes, tous ceux des rangs desquels avaient surgi d’innombrables héros, sauveurs de la Mère Patrie pendant les deux guerres mondiales. Dans le feu de 1940 ou sous les balles en Provence, héros de la Résistance ou, un quart de siècle plus tôt, poilus des tranchées pleines de rats et des plateaux lunaires, du côté de Craonne ou du Chemin des Dames, une fraternité avait pris corps. Aussi, de ces grands sacrifices, et malgré les crimes ignominieux du colonialisme, l’Afrique des années 1950 avait forgé son grand amour pour la France… Et pour autant, elle frémissait d’une façon toute particulière, de se sentir, plus souvent qu’on ne veut bien le dire aujourd’hui, française[4]…
Mais à l’égard de l’aspiration à la fusion qui découlait de cet amour, de cet attachement passionnel, la classe politique et les élites métropolitaines éprouvaient les plus vives réticences[5].
1945-1958 ou L’ère des atermoiements
Alors commença l’ère des atermoiements que fut la IVe République. Cahin-caha, l’on tenta vainement d’accomplir la quadrature du cercle, selon mille figures qui, dès lors qu’on avait renoncé à l’embrassement des peuples européens et africains dans la République une et indivisible, ne pouvaient conduire qu’au divorce, par décentralisations successives. A moins que ce ballet ne menât vers d’autres paradigmes…
C’est en tout cas ce qu’on put croire lorsque le général de Gaulle, en mai 1958, aidé de ses fidèles – certains disent précédé – décida de s’appuyer sur l’Armée d’Algérie pour s’emparer du pouvoir.
On l’entrevoit, un putsch militaire ne pouvait être justifié dans le cadre républicain que par la préservation de l’unité nationale et la survie de la Nation, dans toutes ses dimensions, métropolitaines et ultramarines, et surtout au nom de la volonté supérieure du peuple français dans sa majorité.
Et c’est justement ce que le Général affirma. Se réclamant de la volonté des foules (« Je vous ai compris[6] ! »), il prétendit, en Algérie, qu’il n’y avait désormais ici qu’un seul peuple[7]. Au sud du Sahara, on devine que de telles déclarations durent donner de grands espoirs[8]…
Incontestablement, la IVe République avait montré plus que des signes de faiblesse : Pierre Pflimlin, catholique décidé comme bien d’autres à ce que la France reste la fille aînée de l’Eglise, envisageait de négocier avec le FLN, parti criminel mais très musulman et farouchement Algérie algérienne et, mieux encore, ultra anti-Algérie française. Le FLN, on le savait, signifiait la terre brûlée pour la France au sud de la Méditerranée, humainement et même culturellement[9]. Mais par contrecoup, il signifiait aussi et surtout la préservation du caractère catholique de la France. Rendez-nous nos chrétiens et accessoirement nos quelques juifs, gardez vos cohortes de musulmans (y compris les Harkis), et les veaux seront bien gardés…
En échos, la voix inspirée du Général : « Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées[10]… »
Mais pour l’heure, Charles de Gaulle sait taire ses convictions…
Ralliée à l’idée d’Intégration par pragmatisme, l’Armée se souleva donc, poussée à grands cris dans cette voie par les agents du « plus illustre des Français ». Au nom de la préservation de l’unité franco-algérienne, pour ne pas dire de l’unité de l’Empire, placée sous le signe de l’égalité totale entre tous les « Français », quelle que soit leur race et leur religion. A l’Assemblée nationale, comme en prélude, on dénombrerait bientôt quelque cinquante députés arabo-berbères… Et le Bachagha Boualam en serait l’un des vice-présidents. Après tout, un noir Guyanais, Gaston Monnerville, était bien président du Sénat…
Pour accomplir ce putsch républicain, le Général donna-t-il jamais des ordres explicites ? Vain débat, puisqu’il consentit à tout, et en profita au premier chef. Il faut toute la mauvaise foi d’un Max Gallo[11] pour exonérer l’ermite de la Boisserie de sa responsabilité suprême dans ce qu’il faut bien appeler le coup d’Etat de mai 1958. Putsch militaire en bonne et due forme car, ne l’oublions pas, juste avant que l’Assemblée ne s’offre finalement à César, les paras s’étaient emparés de la Corse, du reste sans coup férir…
La République de 58 ou l’incroyable Révolution
Le Général se présentait comme un révolutionnaire. Il avait décidé, du moins le déclarait-il aux foules transies lors de ses tournées triomphales en ce printemps de 1958, de faire un pari incroyable : accorder la citoyenneté française aux populations arabo-berbères d’Algérie. Allait-il faire preuve de la même audace concernant les populations d’Afrique saharienne et subsaharienne ? Charles de Gaulle allait-il tenir la folle promesse de la IIIe République, en octroyant enfin à toutes les populations « indigènes » la citoyenneté française que les populations africaines, par la voix de leurs leaders, réclamaient ? Lui, le maurrassien, lui, le barrésien, persuadé depuis toujours que si nos ancêtres sont les Gaulois, ce ne saurait être le cas de petits négrillons et autres petits « bougnoules », allait-il réaliser le pari de Claude Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques (1955)[12], en acceptant que le peuple métropolitain se laisse submerger par la grande vague de l’Outre-mer, comme la vague de l’Outre-mer le demandait ?
Certes, en embrassant l’Afrique fraternellement, la France allait s’engager dans une voie extraordinaire, en devenant une gigantesque nation aux dynamiques démographiques différentes mais équilibrées. Un vaste ensemble avec ses cohérences et ses ressources immenses et infiniment diverses, qu’il faudrait conduire vers une alchimie qui pourrait bien avoir quelque chose à voir avec le métissage, avec ces cultures en rhizome dont les Antilles et les Quatre Communes du Sénégal, entre autres, étaient le laboratoire édifiant.
L’Assemblée Nationale, désormais à moitié noire, arabe et berbère, mais aussi européenne, et surtout globalement française et républicaine – chacun des députés partageant l’amour de la République laïque, une et indivisible, sociale, mue avant tout par la passion de la liberté, de l’égalité et de la fraternité – œuvrerait, sous la houlette du Président de la République, aux destinées d’un vaste peuple multiracial et multiculturel, promis aux plus grandes conquêtes et aux plus grands progrès. A la clef, au moins un siècle de croissance économique garantie, grâce aux richesses africaines, qu’elles soient humaines ou naturelles. De ce fait, le génie français serait intimement et nécessairement voué à se colorer, à s’enrichir, à se constituer du génie africain…
1959-1960 ou Le vrai plan du Général
Mais de Gaulle, qui avait renversé la IVe République avec l’appui de l’Armée[13] au nom de la préservation de l’unité de la Nation et de sa grandeur par l’intégration des populations arabo-berbères d’Algérie, en invoquant la volonté du peuple qui le confirma d’ailleurs dans ses fonctions sur ce programme… De Gaulle n’en croyait pas un mot.
S’étant assuré la maîtrise de l’appareil d’Etat, il fit donc volte-face et accomplit, en définitive, l’exact contraire de ce qu’il avait annoncé.
Avant d’organiser l’indépendance de l’Algérie, il imposa d’abord l’indépendance à l’Afrique noire.
Dès l’automne 1958, violant l’article 76 de la Constitution, il refusa la départementalisation demandée par le Conseil de gouvernement du Gabon et son président Léon Mba. Celui-ci, après enquête auprès des populations de son pays, avait mandaté Louis Sanmarco à Paris, pour présenter la demande au gouvernement métropolitain. Reçu par le ministre de l’Outre-mer, Bernard Cornut-Gentille, l’émissaire du Gabon essuya un refus tonitruant : « Sanmarco, vous êtes tombé sur la tête !... N’avons-nous pas assez des Antilles ? Allez, l’indépendance comme tout le monde ! » …
Mais empêcher le Gabon de donner le mauvais exemple et d’ouvrir ainsi la voie à d’autres départementalisations africaines ne suffisait pas. Encore fallait-il parvenir à pousser les autres Etats africains vers la sortie de la Communauté française.
Le Général expliqua quelques années plus tard à Alain Peyrefitte :
« (...) (il baisse la voix) vous savez, c'était pour nous une chance à saisir : nous débarrasser de ce fardeau, beaucoup trop lourd maintenant pour nos épaules, à mesure que les peuples ont de plus en plus soif d'égalité. Nous avons échappé au pire ! (...) Au Gabon, Léon M'Ba voulait opter pour le statut de département français. En pleine Afrique équatoriale ! Ils nous seraient restés attachés comme des pierres au cou d'un nageur ! Nous avons eu toutes les peines du monde à les dissuader de choisir ce statut. Heureusement que la plupart de nos Africains ont bien voulu prendre paisiblement le chemin de l'autonomie, puis de l'indépendance. »
En véritable Machiavel, au prix d’un extraordinaire travail de sape conjuguant marques de mépris et machinations, il parvint à acculer l’Afrique subsaharienne à l’indépendance, alors que la majorité de ses populations et de ses leaders étaient hostiles à une séparation d’avec la France et la République.
Pour ce faire, de Gaulle vida le Conseil de la Communauté de sa substance, au point d’ailleurs de cesser de le réunir…
Etant parvenu à écœurer certains leaders et à les convaincre que l’indépendance était la seule option possible, notamment Senghor et Modibo Keita, il négocia avec eux, secrètement, une indépendance assortie d’étonnants avantages financiers.
Cependant, conscient que les populations subsahariennes feraient, au moins dans certains Etats, obstacle à son projet, le Général-Président fit modifier au dernier moment la Constitution (loi 60-525, mai-juin 1960) selon des voies des plus anticonstitutionnelles, afin que les peuples n’en fussent pas consultés.
Ainsi l’Afrique noire put-elle accéder tout entière à l’indépendance sans que les populations africaines pussent entraver, par leur vote, le processus. Pendant l’été 1960, la quasi-totalité des Etats africains se séparèrent de la France sans que le moindre référendum sanctionnât ce tournant historique pourtant majeur…
Quant à la population métropolitaine, bien qu’initialement disposée à l’intégration des populations ultramarines, elle était plus soucieuse de profiter enfin de la vie après un début de siècle placé sous le signe de la guerre et de la mort (pour ne rien dire du siècle précédent…). Sans broncher, poussée dans ce sens par un large consensus politique et médiatique, elle se laissa donc porter par les événements, du moment qu’au bas du contrat final étaient écrits ces mots magiques : congés payés et vacances, société de consommation, plaisirs de la paix. Après tant de sang et de larmes, tant de tragédies individuelles et de drames collectifs, comme on la comprend ; le cynisme de nos chefs consista à en jouer.
La Ve République ou L’Apartheid gaullien
Cinquante ans de propagande, en nous persuadant que les Africains ne se sentaient pas Français et refusaient absolument de l’être, ont rendu difficile à concevoir ceci : le Général et une grande partie de la classe politique métropolitaine décidèrent un jour que la Nation française, composée de mille petits peuples aux innombrables cultures, serait livrée à un apartheid calculé : d’un côté les Blancs, les Européens, « de culture grecque et latine et de religion chrétienne » comme le disait si bien Charles de Gaulle ; de l’autre, les autres, Africains en tous genres, des rives de la Méditerranée aux confins du Congo et de l’océan Indien, en passant par Dakar, Fort Lamy et Ouagadougou, le Sahara, l’Atlas et la forêt équatoriale, les savanes...
Ce coup de serpe bien pratique permit à la fois d’esquiver la « bougnoulisation » de la Métropole, et d’assurer la pérennité du colonialisme. L’exploitation des populations africaines et des richesses de leurs contrées put perdurer, au prix d’un investissement minimum, tout en préservant autant que possible le caractère blanc et européen l’Hexagone, dangereusement menacé par l’Intégration… Ou comment « gagner » sur tous les tableaux…
En creux, on a là le schéma des années 1960 et suivantes : une France qui se porte comme un charme sans l’Afrique, autrement dit sans la partie noire et arabo-berbère de son peuple. Décollage économique, société de consommation, beaux rêves de bobo, américanisation à tout-va… Au gré d’un véritable « apartheid à la française » organisé à l’échelle continentale, la frange blanche du peuple de la Plus Grande France, sorte de bourgeoisie affranchie du populo, la « métropole » redevenue pays à part entière, put se livrer à tous les plaisirs (et toutes les dérives) de l’opulence…
En face, une Afrique sur le chemin du sous-développement et de ses affres jouait au bourrage de crâne, répétant sans fin, les yeux dans le miroir : « Je suis Noir, je suis un homme, j’ai créé, j’ai ma part au monde, je ne me suis jamais senti français, jamais je n’ai aimé la France »…
L’inertie des choses et la mélancolie
Le problème, si l’on peut dire, c’est qu’un peuple coupé en morceaux tend à se reconstituer par petits bouts (en particulier par le biais de l’immigration, dont on pourrait discerner la part non seulement économique mais aussi culturelle ou « idéaliste », voire patriotique), tandis que s’engendrent d’innombrables névroses.
La France d’aujourd’hui est dévorée par ces névroses, conséquences d’une exégèse historiographique en carton pâte, fabriquée à partir de cette matrice idéologique factice, le mensonge gigantesque, la sidérante imposture de la décolonisation, présentée comme le triomphe de la volonté des peuples à disposer d’eux-mêmes, alors qu’elle est tout le contraire. Ce que nous avons appelé l’idéologie de la Ve République, mais que nous pourrions aussi bien nommer idéologie mondiale de la seconde moitié du XXe siècle.
Aujourd’hui, la petite France névrosée cuit dans son jus comme un cœur de diabétique. Et elle menace, à son tour, de se déliter par petits bouts plus ou moins sanglants.
Le peuple français est neurasthénique et en décomposition, car il n’est qu’un moignon de peuple, moignon tragique du grand peuple franco-africain sacrifié sur l’autel du narcissisme blanc. Tout comme les peuples d’Afrique sont des moignons souffrants du même grand peuple dont ils étaient la moitié de l’âme inavouée et inassumée, mais ô combien désirante, que certains voudraient aujourd’hui précipiter dans le narcissisme noir, pour achever la séparation.
Or dans cette situation de privation, les uns et les autres, chacun à sa manière, n’en finissent pas d’avoir des spasmes à l’estomac, des hoquets pleins d’aigreur, et des accès de mélancolie.
Imaginez la République franco-africaine…
Imaginez, mon cher ami, ce que serait aujourd’hui la République franco-africaine, si depuis bientôt cinquante ans, les Africains avaient eu gain de cause en 1945… S’ils avaient été reconnus par les chefs de la Métropole, comme ils le demandaient ou l’espéraient, citoyens français à part entière…
L’Afrique, fécondée par le génie français, y aurait imprimé son génie propre qui se serait propagé à la Métropole, et nous serions tous aujourd’hui, Ultramarins ou Métropolitains, les Français franco-africains, les Africains afro-français, citoyens réconciliés devant l’Histoire d’une France africaine et d’une Afrique française en perpétuelle croissance, gravitant sur au moins deux continents…
Les races ? Vous usez là d’un mot qui sera quelque jour inconnu, quand les grâces de l’amour, tous nos lointains descendants seront nés sangs-mêlés…
Palais sur les décombres
Et s’il n’était jamais vraiment trop tard pour bien faire, quand on regarde enfin les choses en face ?
Puissent nos enfants et nos petits-enfants, à qui nous aurons appris l’histoire sans leur mentir, faire à nouveau la Révolution, bâtir des palais sur les décombres, et contempler l’avenir avec des yeux de frères. Pour nous laisser un peu plus heureux.
Alexandre Gerbi
[1] Nougaro, Paris Mai, 1968.
[2] « Tyaroye », in Hosties noires, 1948, cité par Bernard Mouralis, in République et colonies.
[3] Dans le vocabulaire de Hitler, « Sous-hommes » : Juifs, Tsiganes, Slaves… ou Noirs s’il en avait sous la main…
[4] « (…) Naguère, sans rire, nous (...) appelions (la France) “la métropole”. Nous nous déclarions, avec quelque pointe de fierté, “citoyennes de l’Union française” » rappelait Lydie Dooh-Bunya in La femme africaine et la décolonisation, in La Décolonisation de l’Afrique vue par des Africains, Ed. L’Harmattan, 1987, p. 74.
[5] Emile-Derlin Zinsou expliquait en 1985 : « (…) Les leaders politiques africains avaient en commun ceci : ils souhaitaient tous ardemment, la guerre (1939-1945) terminée, une mutation profonde du sort de l’Afrique (…). La profession de foi, la revendication fondamentale n’était pas l’indépendance : aucun de nous ne la revendiquait. Nous réclamions, par contre, l’égalité des droits puisque nous avions les mêmes devoirs jusques et y compris celui de donner notre sang pour la France. (…) La bataille pour l’égalité, pour les droits égaux pour tous, était l’essentiel du combat politique. Mais cette égalité inscrite dans la devise républicaine n’allait pas de soi, en ce qui concerne son application intégrale, dans l’esprit des colonisateurs. Une politique coloniale intelligente, prospective, suffisamment ouverte sur l’avenir, qui aurait conduit les peuples coloniaux à la jouissance des mêmes droits que ceux de la métropole, à l’application des mêmes lois, des mêmes règles à tous, aurait certainement modifié le destin de la colonisation. » La décolonisation politique de l’Afrique, in La Décolonisation de l’Afrique vue par des Africains, Ed. L’Harmattan, 1987, pp. 32-33. Emile-Derlin Zinsou fut l’un des leaders politiques du Dahomey, aujourd’hui le Bénin, dont il fut président de juillet 1968 à décembre 1969.
[6] « Je vous ai compris ! Je sais ce qui s'est passé ici. Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c'est celle de la rénovation et de la fraternité. Je dis la rénovation à tous égards. Mais très justement vous avez voulu que celle-ci commence par le commencement, c'est-à-dire par nos institutions, et c'est pourquoi me voilà. Et je dis la fraternité parce que vous offrez ce spectacle magnifique d'hommes qui, d'un bout à l'autre, quelles que soient leurs communautés, communient dans la même ardeur et se tiennent par la main. Eh bien ! de tout cela, je prends acte au nom de la France et je déclare, qu'à partir d'aujourd'hui, la France considère que, dans toute l'Algérie, il n'y a qu'une seule catégorie d'habitants: il n'y a que des Français à part entière, des Français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Cela signifie qu'il faut ouvrir des voies qui, jusqu' à présent, étaient fermées devant beaucoup. Cela signifie qu'il faut donner les moyens de vivre à ceux qui ne les avaient pas. Cela signifie qu'il faut reconnaître la dignité de ceux à qui on la contestait. Cela veut dire qu’il faut assurer une patrie à ceux qui ne pouvaient douter d’en avoir une (…) ». Charles de Gaulle, Discours prononcé depuis le balcon du gouvernement général, à Alger, le 4 juin 1958.
[7] « Il est parti de cette magnifique terre d’Algérie un mouvement exemplaire de rénovation et de fraternité. Il s’est levé de cette terre éprouvée et meurtrie un souffle admirable qui, par-dessus la mer, est venu passer sur la France entière pour lui rappeler quelle était sa vocation ici et ailleurs. C’est d’abord à cause de vous qu’elle m’a mandaté pour renouveler ses institutions. Mais à ce que vous avez fait pour elle, elle doit répondre en faisant ici ce qui est son devoir, c'est-à-dire considérer qu’elle n’a, depuis un bout jusqu’à l’autre de l’Algérie, dans toutes les catégories, dans toutes les communautés qui peuplent cette terre qu’une espèce d’enfants. Il n’y a plus ici, je le proclame en son nom, et je vous en donne ma parole, que des Français à part entière, des compatriotes, des concitoyens, des frères qui marchent désormais dans la vie en se tenant par la main. Mostaganem ! Merci du fond du cœur. Merci d’avoir témoigné pour moi en même temps que pour la France. Vive Mostaganem ! Vive l’Algérie française ! Vive la France ! » Charles de Gaulle, Discours de Mostaganem, 6 juin 1958.
[8] « La confusion délibérément entretenue dans l’esprit des Africains au moment du référendum de 1958 est peu ou prou responsable de l’ambiguïté qui sous-tend aujourd’hui encore les relations de la France avec ses anciennes colonies. Et l’axe majeur de cette confusion portait à l’époque sur le statut réel des indigènes des colonies par rapport à la citoyenneté française. Car, à partir du moment où on leur faisait réciter le « nos ancêtres les Gaulois » ou chanter la Marseillaise le 14 juillet ou le 11 novembre, ils n’avaient aucune raison de douter qu’ils étaient Français à part entière. C’est pourquoi d’ailleurs un BOGANDA pouvait légitimement demander au moment du référendum : « Pourquoi, moi, je ne serai plus Français si, suivant mes convictions de vieux républicain, je vote contre cette Constitution, alors qu’un vieux républicain de la Lozère restera Français s’il fait de même ? » Or, tout est parti de là ! L’escroquerie politique consista à « pousser dehors » les colonies, au moment où elles ne demandaient que plus d’égalité des droits au sein de la République plus que l’indépendance, à laquelle elles étaient peu nombreuses à songer à ce moment-là. » Samuel Mbajum, Les douloureuses séquelles de la colonisation, sur le site Afrique Debout.com.
[9] A ce sujet, lire notamment La Tragédie algérienne de Raymond Aron, Ed. Plon, 1957.
[10] Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Ed. Fayard, 1994, p. 52.
[11] Emission De Gaulle : droit d’inventaire, France 3, le 10 octobre 2007.
[12] « Si, pourtant, une France de quarante-huit millions d’habitants s’ouvrait largement sur la base de l’égalité des droits, pour admettre vingt-cinq millions de citoyens musulmans, même en grande proportion illettrés, elle n’entreprendrait pas une démarche plus audacieuse que celle à quoi l’Amérique dut de ne pas rester une petite province du monde anglo-saxon. Quand les citoyens de la Nouvelle-Angleterre décidèrent il y a un siècle d’autoriser l’immi-gration provenant des régions les plus arriérées de l’Europe et des couches sociales les plus déshéritées, et de se laisser submerger par cette vague, ils firent et gagnèrent un pari dont l’enjeu était aussi grave que celui que nous nous refusons de risquer. Le pourrions-nous jamais ? En s’ajoutant, deux forces régressives voient-elles leur direction s’inverser ? Nous sauverions-nous nous-mêmes, ou plutôt ne consacrerions-nous pas notre perte si, renforçant notre erreur de celle qui lui est symétrique, nous nous résignions à étriquer le patrimoine de l’Ancien Monde à ces dix ou quinze siècles d’appauvrissement spirituel dont sa moitié occidentale a été le théâtre et l’agent ? Ici, à Taxila, dans ces monastères bouddhistes que l’influence grecque a fait bourgeonner de statues, je suis confronté à cette chance fugitive qu’eut notre Ancien Monde de rester un ; la scission n’est pas encore accomplie. Un autre destin est possible (...). » in Tristes tropiques, Ed. Plon, 1955, rééd. Pocket, pp. 486-487. « Vingt-cinq millions de citoyens musulmans » : à l’époque, la Tunisie et le Maroc ne sont pas encore indépendants.
[13] Mais aussi, étrangement, avec la bénédiction des Etats-Unis d’Amérique oppresseurs de Rosa Parks et, en d’autres temps, génocidaires des Indiens…
[14] Voir notamment Entretiens sur les non-dits de la décolonisation, de Samuel Mbajum et du Gouverneur Sanmarco, Ed. de l’Officine, 2007.
Article publié sur le site Afrique Liberté le 14 avril 2008
Libellés : afrique, de Gaulle, décolonisation, france, gabon, indépendance, léon mba, sanmarco
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home