Remarques
camusiennes
à
l’adresse des perroquets parisiens
par
Alexandre Gerbi
« Mal
nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde »,
qu’ils vous répètent…
Depuis quelques années,
les petits perroquets parisiens citent à tout bout de champ, le bec
en cul de poule, cette pensée de l’admirable Albert Camus :
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du
monde ».
Alors que les mêmes
petits perroquets parisiens semblent ne rien connaître des analyses
du même Camus touchant à la prétendue « décolonisation »,
en particulier celle de l’Algérie.
Et pour cause : la
pensée camusienne déroge au catéchisme officiel de la Ve
République, auquel lesdits petits perroquets parisiens souscrivent
bien sagement, par ignorance ou intérêt bien compris.
Il semble totalement
échapper aux grands aras, aux gris du Gabon et autres perruches, que
l’ignorance, la superficialité, la lâcheté et la tartufferie
ajoutent, elles aussi, au malheur du monde…
Dans ses Chroniques
algériennes parues dans Combat en mai 1945, Camus notait
:
« Sur le plan
politique, je voudrais rappeler aussi que le peuple arabe existe. Je
veux dire par là qu'il n'est pas cette foule anonyme et misérable,
où l'Occidental ne voit rien à respecter et à défendre. Il s'agit
au contraire d'un peuple de grandes traditions et dont les vertus,
pour peu qu'on veuille l'approcher sans préjugés, sont parmi les
premières. Ce peuple n'est pas inférieur, sinon par la condition de
vie où il se trouve, et nous avons des leçons à prendre chez lui,
dans la mesure où il peut en prendre chez nous. ». Pléiade, p.
942.
Dans son avant-propos des
Chroniques algériennes, Camus notait également :
« Pour trouver
la société humaine, il faut passer par la société nationale. Pour
préserver la société nationale, il faut l’ouvrir sur une
perspective universelle. Plus précisément, si l’on veut que la
France règne en Algérie sur huit millions de muets, elle y mourra.
Si l’on veut que l’Algérie se sépare de la France, les deux
périront d’une certaine manière. Si, au contraire, en Algérie,
le peuple français et le peuple arabe unissent leurs différences,
l’avenir aura un sens pour les Français, les Arabes et le monde
entier. » Ibid. p. 896.
Onze ans plus tard, en
janvier 1956, dans son Appel pour une trêve civile en Algérie,
Camus annonçait, envisageant la victoire du FLN :
« (…) nos deux
peuples alors se sépareront définitivement et l’Algérie
deviendra pour longtemps un champ de ruines (…) je ne puis me
résigner à la voir devenir pour longtemps la terre du malheur et de
la haine. » Ibid., p.998.
Et Camus de conclure,
dans Algérie 1958 :
« (…) le
gouvernement français doit faire savoir nettement (…) qu’il
est disposé à rendre toute justice au peuple arabe d’Algérie, et
à le libérer du système colonial (…). On peut donc imaginer une
déclaration solennelle (…) proclamant : 1) Que l’ère du
colonialisme est terminée ; que la France, sans se croire plus
pécheresse que les autres nations qui se sont formées et ont grandi
dans l’histoire, reconnaît ses erreurs passées et présentes et
se déclare disposée à les réparer ; 2) Qu’elle refuse
cependant d’obéir à la violence (…) ; qu’elle refuse, en
particulier, de servir le rêve de l’empire arabe à ses propres
dépens, aux dépens du peuple européen d’Algérie, et,
finalement, aux dépens de la paix du monde. » Ibid.,
pp. 1014-1015.
Il précisait la nature
du péril : « Pour le moment, l’empire arabe n’existe
pas historiquement, sinon dans les écrits du colonel Nasser, et il
ne pourrait se réaliser que par des bouleversements mondiaux qui
signifieraient la troisième guerre mondiale à brève échéance. »
Ibid., p. 1013.
Plus d’un demi-siècle
plus tard, si elles ont changé de doctrine, abandonnant le
nationalisme panarabe, socialiste et laïc, au profit de l’islamisme
le plus obscurantiste, les ambitions d’un « empire arabe »
(ou musulman, ce qui n’est pas très différent) sont plus que
jamais d’actualité, et prennent la forme d’une espèce de
troisième guerre mondiale, donnant aux analyses de Camus des allures
prophétiques…
Mais cela non plus, les
petits perroquets parisiens n’ont pas le droit de le dire. Alors
ils préfèrent répéter en boucle sur leur perchoir, le bec plein
de cacahuètes : « Mal nommer les choses, c’est
ajouter au malheur du monde »…
1 Comments:
Dans votre échos sur Camus vous donnez comme date de parution de Chroniques Algériennes 1945. Or, à ma connaissance ce livre est paru en 1958. Il a été complètement "étouffé" par les événements qui ont amené la chute de la IVème République et l'instauration de la Vème.
Pour le reste, comme la grande majorité de mes compatriotes d'Algérie j'avais une dent contre Camus par ignorance comme celles des petits perroquets parisiens même si j'avais tout de même quelques doutes. Né en 1941 je peux, au moins, protester de ma jeunesse pour ces pensées. En effet dès notre expatriation en Métropole j'ai conçu le projet de suivre un cursus en Histoire à l'Université. Je renais à ce que mes recherches obtiennent le label universitaire. Je n'ai pu réaliser ce projet qu'entre 1997 et le 30 janvier 2008. Ma thèse "La montée des violences dans le Grand-Alger (01/06/1958-30/04/1961) a obtenu la mention Très Honorable. Avant même la réalisation de ce projet j'avais justement lu "Les chroniques Algériennes" de Camus et j'ai compris que celui-ci était un anti-communiste convaincu et un partisan de l'Algérie Française convaincu qu'il értait que les Arabes n'auraient la reconnaissance de leur revendications légitimes (cf. postface des Chroniques) Qu'au travers de la culture française.
Cordialement
Robert Davezac
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