24 mai 2016

Article "Crise française : sources inavouables pour une issue fraternelle" publié dans la revue Lignes (n°50, mai 2016).

"Crise française : sources inavouables pour une issue fraternelle"

Un très grand merci à Sophie Wahnich, historienne, spécialiste de la Révolution française, conceptrice et coordinatrice de ce numéro, et à Michel Surya, écrivain, spécialiste de Georges Bataille, membre fondateur et directeur de la revue, d'avoir ouvert Lignes (n°50, mai 2016, intitulé Après-coups de l'histoire, Symptômes et issues) aux recherches exposées depuis 2006 sur le blog Fusionnisme. 

Puisse la prestigieuse revue Lignes contribuer à faire triompher cette thèse à contre-courant sur la prétendue décolonisation, thèse qui continue de faire, dans la France soi-disant socialiste de l'an 2016, l'objet d'une omerta politico-médiatique intégrale, malgré l'amplification de la crise qui mine le Pays, mais aussi l'Afrique, l'Europe et le monde, depuis de nombreuses années...



APRÈS-COUPS DE L’HISTOIRE : SYMPTÔMES ET ISSUES 

Revue Lignes n°50 

Contributeurs : Sophie Wahnich, Zeev Sternhell, Didier Leschi, Jérémy Guedj, Cécile Wajsbrot, Alexandre Gerbi, Fethi Benslama, Adèle Côte, Jacob Rogozinski,Sidi Mohammed Barkat, René Major, Juan Branco 


Cinq mots-clés, cinq mots forts, d’hier et d’aujourd’hui, d’aujourd’hui parce que leur hier est resté en partie impensé, comme autant de symptômes d’un passé qui ne passe pas, cherchant chacun une issue : « fascisme », « antisémitisme », « collaboration », « musulman » et « colonialisme ». Pour que cesse l’infernale répétition de leurs effets. 

De grandes commotions ont troublé l’histoire du XXe siècle en France, en Europe et dans le monde. Deux guerres mondiales, des guerres coloniales et de décolonisation, plusieurs génocides. De grandes « tyrannies » – dans le vocabulaire du XVIIIe siècle – ont mis à mal la liberté des peuples et, au nom de la race, ont ainsi mis à mal la conviction que l’humanité est une et faite de semblables égaux. 

Dans l’après-coup de toute grande commotion, les sociétés doivent inventer et articuler des pratiques privées, des pratiques sociales, des politiques qui leur permettent de se réunifier ou de se refonder. Saint-Just affirmait ainsi, pour parler des malheurs de son temps produits par la contre-révolution, que « ceux qui survivent aux grands crimes sont condamnés à les réparer. » Sans cette réparation, la discontinuité de l’expérience passée se répète dans l’expérience présente et conduit, d’une part, des contemporains à ne plus pouvoir faire lien, à ne plus partager le même rapport sensible au monde, d’autre part, à répéter parfois sans le savoir ce qui a fondé cette déliaison. L’histoire n’est pas rejouée sciemment, mais elle rejoue comme on dit qu’une faille rejoue. 

L’histoire alors se répète mais non à la manière des mauvaises farces gaussées par Marx qui fustige des imitations ridicules, à la manière plutôt d’un cauchemar où l’histoire agit en sous-main et dans l’après coup. L’après-coup n’est pas alors une simple « suite », « l’après » de la traduction de l’aftermath anglo-saxon. Il est le moment où le trauma historique revient frapper à la porte du sujet ou de la société. Dans la chaîne temporelle, l’événement traumatique a implanté un message qui demeure énigmatique, sur le coup comme pour les générations qui suivent. Et c’est ce message qui, soumis à des tentatives d’élucidation successives, fabrique des bouclages du temps du passé vers le futur et du présent vers le passé. Il faut retourner y voir pour comprendre comment des fantômes prennent en main la vie des vivants sans qu’ils le sachent, sans qu’ils veuillent même parfois le savoir. 

Ces fantômes ont des noms saillants qui fabriquent aujourd’hui en France ce qu’on appelle des querelles de mots, des querelles importantes donc. Nous nous arrêterons dans ce numéro de Lignes sur ces mots qui dessinent aussi des séquences de l’histoire ou parfois les traversent : les années trente bien sûr, puis la Seconde Guerre mondiale, puis les années 1960 qui sont réputées en finir avec la séquence 1945-1960 où un autre monde avait été rêvé et espéré. 

Le premier de ces mots : « fascisme ». Fétiche nécessaire à brandir pour les uns afin de lui faire jouer le rôle d’avertisseur d’incendie, de le repérer, de le conjurer. Fétiche inquiétant pour les autres qui ne veulent en entendre parler que pour lui dénier toute réalité spécifique en France. Mais quand un tel mot fait peur, que souhaite-t-on refouler de l’histoire traumatique ? Que souhaite-t-on accepter de l’histoire présente ? 

Le second : « antisémitisme ». Il aura fallu dix ans pour que la remontée de l’antisémitisme ne soit plus possible à cacher. En 1997, Lionel Jospin face à des statistiques accablantes sur la montée en puissance des actes antisémites, avait fabriqué un tabou. Peur de produire par le dévoilement d’une telle situation la possibilité de la voir perdurer ? A-t-il pensé que cela faisait honte à son gouvernement ? À son pays ? Le tabou n’a pas eu raison des faits. Certains se plaignent aujourd’hui d’un « philosémitisme d’État ». Revient-il seulement à l’État et à ses appareillages de ne pas accepter cette répétition-là ? Comment la mise en équivalence de l’islamophobie et de l’antisémitisme conduit-elle à produire d’un même mouvement une rivalité et une occultation ? 

Le mot suivant : « musulman », est pris dans une nouvelle polysémie. Il sert en effet à la fois à désigner un segment social – les Français qui portent d’une manière filiale l’expérience et la mémoire de l’oppression coloniale –, un segment religieux – ceux qui pratiquent l’islam –, et un segment culturel – ceux qui se sentent appartenir à cette communauté musulmane sans pour autant être toujours croyants. Le mot « islamophobie » porte à son tour à confusion de sens. Qu’est-ce que le récuser, qu’est ce que le revendiquer ? 

Le quatrième : « collaboration », sera envisagé sous son euphémisation : accommodement. Il faut bien savoir s’adapter à de nouvelles situations historiques quand on est un notable, un savant, un administrateur. Le principe dit de réalité dessine une pragmatique des carrières. Qu’est ce que cette compétence à l’accommodement a livré à notre époque ? De quel renoncement fondateur sont tissées les décisions prises par nos dites élites au nom du principe de réalité ? Quels plis de l’histoire permettraient d’éclairer ces manières d’agir ? 

Enfin le dernier mot que nous voulons explorer : « colonialisme », pris entre ceux qui veulent encore le faire reconnaître comme un bienfait et ceux qui demandent qu’il soit pleinement reconnu comme crime contre l’humanité. Il a des avatars : post-colonial, décolonial. Il s’agit d’interroger ce que ce rapport de domination coloniale, plusieurs fois dénié, nous a livré comme nœud gordien. 

Les articles de ce numéro analysent donc des symptômes du présent à la lumière des symptômes du passé, ou des situations passées qui résonnent dans le présent. Mais il ne s’agit pas de s’en tenir au constat mais de proposer un pas de plus, un pas imaginatif qui dessinera des issues, une bifurcation c’est-à-dire des utopies qui permettraient de faire cesser cette infernale répétition. 

Numéro pensé et conçu par Sophie Wahnich 

Table 

Sophie Wahnich, Présentation 

Zeev Sternhell, Le fascisme en France : entre refoulement et oubli 
Didier Leschi, Les Croix-de-Feu et La Rocque : la tentation autoritaire à la française 
Jérémy Guedj, Le fascisme ne reviendra pas ? Du phénomène au mot, une histoire de contrecoups sans fin 
Cécile Wajsbrot, Avec une minuscule 
Alexandre Gerbi, Crise française : sources inavouables pour une issue fraternelle 
Fethi Benslama, L’invention de l’islamisme. Une utopie antipolitique 
Adèle Côte, Le FN à Carpentras ou la croisade plein sud… 
Jacob Rogozinski, Terre sans retour (I)
Sophie Wahnich, Face à l’oppression, un peuple impassible, comme absenté à lui-même 

LES ATTENTATS, LA PENSÉE (2) 

Sidi Mohammed Barkat, Après le 13 novembre 2015. Le triomphe du dogme de l’identité 
René Major, Des fantômes qui nous hantent 
Juan Branco, DAESH

Le site de la revue Lignes