4 nov. 2012

Paris / Alger : Les bras du déshonneur




Paris / Alger :


Les bras du déshonneur




par 

Alexandre Gerbi



Tandis que les bras d’honneur s’échangent joyeusement entre Paris et Alger (c’est toujours mieux qu’au temps jadis, quand la gégène répondait aux boulons et autres clous propulsés à l’explosif…), ils sont innombrables, en France comme en Algérie, à tomber dans le panneau...


Las ! Cette perpétuelle guéguerre d’Algérie vise un tout autre but que celui apparemment poursuivi.

En effet, loin de participer au dépassement du « contentieux » franco-algérien (que devaient assurer les accords d’Evian), cette demande de repentance formulée pour ainsi dire chaque année par l’Etat FLN (au pouvoir sans discontinuer depuis un demi-siècle, avec les magnifiques résultats que l’on sait pour le peuple algérien et l’Algérie…) vise à enfouir un pot-aux-roses qui menace, lui aussi perpétuellement, de ressurgir.

Ce pot-aux-roses tient en peu de mots : la collusion étroite et fondamentale qui unit l’Etat FLN, ou Etat algérien, et l’Etat néo-gaullien, ou Etat français. Avec tous les crimes – colossaux et polymorphes – qui y sont attachés.

Alliance des identitaires… avant la lettre

Historiquement, un nationaliste hexagonal, identitaire avant la lettre, Charles de Gaulle (déguisé à l’époque, il est vrai, en progressiste révolutionnaire, lors du quasi-coup d’Etat militaire de mai-juin 1958, depuis longtemps effacé des mémoires, qui lui permit de prendre le pouvoir au nom d’une Algérie française enfin égalitaire et fraternelle… à seule fin de mieux finalement la détruire), crut bon de s’allier aux nationalistes algériens du FLN, eux aussi identitaires avant la lettre. Les identitaires des deux rives de la Méditerranée, français et arabes,  faisant alliance, il suffisait d’y penser… de Gaulle l’a fait !

Résultat : en 1962, la France, débarrassée de ses populations arabo-berbères, et pour la plupart musulmanes, d’Algérie, fut préservée (du moins théoriquement) dans son identité « avant tout de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne », selon l’expression parfaitement antirépublicaine dont le Général n’usait, bien entendu, qu’en coulisses, pour justifier sa politique algérienne. Sans perdre le bénéfice, suprême adresse, du pétrole saharien. Car sur ce dernier et crucial chapitre, le FLN sut mettre son intransigeance en veilleuse… en attendant que le Général cassât sa pipe, ce qui ne manqua pas de survenir, le 9 novembre 1970 : moins de quatre mois après le décès du saint homme, le 24 février 1971, la nationalisation du pétrole algérien était un fait accompli. Au plus grand bénéfice des hiérarques FLN et de leurs comptes en Suisse…

Les vertus indicibles de la terreur

Or en faisant délibérément du FLN le maître absolu des anciens départements d’Algérie, Charles de Gaulle joua (du moins le croyait-il) une carte fort habile : conformément à ce qu’avait annoncé Raymond Aron dans son essai La Tragédie algérienne (Plon, 1957), le FLN se chargea de chasser les Pieds-Noirs. Tout bénéfice pour l’Hexagone, où un million de « rapatriés », menacés collectivement de mort (selon le slogan « la valise ou le cercueil »), trouvèrent refuge, malgré les huées et les crachats de leurs compatriotes métropolitains opportunément conditionnés par l’Etat, les médias et les intellectuels de Saint-Germain-des-Prés. Ces sales Pieds-Noirs purent ainsi apporter leur force de travail, à l’heure où l’économie hexagonale avait grand besoin de bras. En attendant que l’Algérie, paupérisée et terrorisée, devienne, comme le reste du Maghreb et de l’Afrique, un réservoir de main-d’œuvre abondante, servile et à bon marché pour l’industrie française…

Mieux encore, le FLN se livra comme prévu, dans l’Algérie nouvellement « indépendante », à un grand nettoyage. Celui-ci se solda, entre juillet et octobre 1962, en trois vagues, par un gigantesque bain de sang et de supplices. Selon les historiens, entre 45.000 et  150.000 Algériens, militaires ou civils, furent éliminés en quelques mois. Peut-être même davantage… Une méthode efficace qui permit, comme par enchantement, de transformer chaque Algérien en partisan absolu de l’indépendance et d’effacer dans les têtes tout souvenir favorable à la France et à l’unité franco-algérienne (passible de la peine de mort, pour soi et pour sa famille…). Des vertus indicibles de la terreur…

Pas une tête ne dépasse 

Cinquante ans plus tard, aujourd’hui, le résultat est là, incontestable : impossible de trouver un Algérien (ou une Algérienne) qui se rappelle un père, une grand-mère ou un tonton partisan de l’« Algérie française ». Au contraire, comme dans un monde parfait, pas une tête ne dépasse : tous ou presque sont des descendants de « moudjahid », prêts à le jurer sur le cœur…

Même topo, d’ailleurs, pour une bonne part des Français d’origine algérienne. Et pour cause : grâce à la collusion De Gaulle/FLN, les partisans algériens de la France ayant été déclarés sans appel « traîtres » et « collabos », l’unité franco-algérienne ayant été déclarée définitivement scandaleuse ou absurde par les nouveaux maîtres de la France et de l’Algérie, en l’an 2012, à part quelques Harkis masochistes (ou héroïques…), il faudrait être idiot pour ne pas s’être rangé, depuis longtemps, dans le camp des nobles « résistants » et s’être inventé, au besoin, un passé à l’avenant…

Trimballant la triple culpabilité du massacre des Harkis et des Algériens francophiles (répétons-le, de 45.000 à 150.000 victimes, voire davantage), du désastre économico-idéologico-politique de l’Algérie (malgré la manne pétrolière) et de sa collusion avec l’Etat blanciste de Charles de Gaulle, le FLN s’érige donc en accusateur de la France et de ses crimes colonialistes, pour mieux cacher ses propres crimes et ses accointances avec la Ve République blanciste…

Cette dernière, du reste, y trouve son compte, soucieuse elle aussi d’enfouir ses misérables turpitudes, ses trahisons, ses ignominies.

Au rythme des bras d’honneur de Gérard Longuet ou de Khaled Bounedjma, qu’on appellerait mieux, au vrai, « bras du déshonneur ».

Alexandre Gerbi